Agglomération chalonnaise

Et si vous preniez soin de vos oreilles ?

Et si vous preniez soin de vos oreilles ?

Les Français et leurs oreilles… Un complexe encore bien présent : difficile de pousser la porte de l’audioprothésiste, et avant celle-là, celle de l’ORL. À quelques jours de la Journée Nationale de l’Audition (JNA), jeudi 12 mars, Pierre-Jean Lemaire, propriétaire de l’enseigne Correction auditive Lhôte & Lemaire, témoigne de son travail d’audioprothésiste indépendant.

Arrivé à Chalon-sur-Saône en 2006, c’est auprès de l’audioprothésiste Hélène Lhôte — installée depuis 1977 — que Pierre-Jean Lemaire exerce son activité. En 2016, à la retraite de Mme Lhôte, il reprend l’enseigne Lhôte-Lemaire : deux magasins — l’un au centre-ville, l’autre à Saint-Rémy — puis deux assistantes, Céline et Régine. Une responsabilité que l’audioprothésiste endosse comme une évidence : « J’ai privilégié mon indépendance dans ma façon de travailler, dans le choix des appareils auditifs, des formations continues et des échanges avec les professionnels. »

Le métier d’audioprothésiste

L’appareillage proprement dit ne peut être envisagé qu’après une auscultation chez l’ORL (oto-rhino-laryngologiste), médecin spécialiste des pathologies de l’oreille, du nez et du larynx et sur sa prescription médicale, s’il le juge nécessaire. Par souci de simplification, on pourrait dire que le travail de l’audioprothésiste consiste à « prendre en charge la personne, comprendre sa difficulté auditive en cherchant ce qui ne fonctionne pas mécaniquement, et trouver le produit et la stratégie la plus adaptée à ses besoins et ses souhaits. Nous devons faire de l’optimisation à tous les niveaux : quel appareil, quel réglage serait le mieux pour cette personne ? », résume Pierre-Jean Lemaire.

Le métier revêt deux aspects : l’un paramédical, l’autre commercial. Le premier comprend toute la prise en charge de la personne et de son déficit auditif. Là est sans doute la tâche la plus délicate du métier, car il ne s’agit pas seulement de faire preuve de technicité lors d’un appareillage, mais de prendre véritablement en compte la personnalité du client. Pierre-Jean Lemaire souligne : « Quand un client pousse la porte, il s’agit d’un geste ni facile ni anodin. Il entre avec des interrogations, des espoirs, mais aussi des anxiétés, parfois des idées fausses. » Le second aspect concerne bien sûr la vente des appareils auditifs et tous les accessoires afférents à l’audition,

Mais les obstacles — comme les idées reçues du type « un appareil auditif, c’est pour les personnes âgées » — sont persistants, et doivent être pris en considération par l’audioprothésiste. « Vous ne pouvez pas appareiller une personne qui ne vous fait pas confiance, assure Pierre-Jean Lemaire, c’est pourquoi il est capital de lui donner toutes les informations nécessaires, en amont, sur le parcours d’un appareillage. Parfois, il arrive qu’une personne ne se sente pas prête à porter une aide auditive, même si son déficit auditif pourrait être amélioré par l’appareillage. On ne peut et on ne doit rien forcer. Il faut bien comprendre qu’aucun appareillage ne peut réussir sans la participation volontaire de la personne. »

Le rôle des assistantes

Pierre-Jean Lemaire rappelle l’importance toute particulière du rôle de ses assistantes, qui ont appris du métier tout ce qui se passe « hors cabine », c’est-à-dire en dehors de l’appareillage proprement dit. « Régine et Céline ont des missions aussi importantes que celle de l’audioprothésiste. Elles ne se limitent pas au travail de secrétariat — gestion de l’agenda et démarches administratives avec les mutuelles — elles ont aussi toutes les connaissances et qualités requises pour accueillir le client à la première rencontre, répondre à ses questions et le situer précisément dans son parcours. Tout au long des rendez-vous successifs, elles savent également écouter, recevoir les émotions du client et l’accompagner. La dimension humaine est indispensable dans notre métier » conclut Pierre-Jean Lemaire.

L’appareillage

Pierre-Jean Lemaire le précise d’emblée : « Un appareil auditif, ce n’est pas une oreille neuve ! » Exposés à un son identique, les perceptions auditives diffèrent d’un individu à l’autre. Il existe donc bien une subjectivité acoustique, que l’audioprothésiste prend en compte lors du choix de l’appareil et de ses réglages. Si le test de l’audiogramme révèle les dysfonctionnements de l’audition, il reste à établir, dans un échange avec le client, ses besoins et ses attentes.

Du point de vue du client, un appareillage chez l’audioprothésiste ne se limite pas à l’achat d’aides auditives. Le prix englobe tout le suivi — adaptations, réglages, maintenance —, autant de rendez-vous qui sont donc compris et cela, sur toute la durée de vie de l’appareil, dont l’estimation moyenne est de 4 à 6 ans.

« La fonction crée l’organe » : par ce vieil adage, Pierre-Jean Lemaire explique qu’un appareillage, à partir du moment où il est jugé utile par le médecin ORL, avec prescription médicale, devrait se faire le plus tôt possible. En effet, les sollicitations auditives sont nécessaires pour que notre audition soit entrainée à fonctionner, audition et cognition étant intimement liées. « Plus la privation des sollicitations auditives est longue, plus il est long de s’adapter à l’appareillage. C’est comme si on oubliait les sons, ça revient plus lentement. C’est en ça qu’on peut dire que l’audioprothésiste est un régleur, qui doit adapter l’appareil à l’oreille et à la perception de la personne. »

Le rôle de l’audioprothésiste  peut être résumé en ces termes : « Finalement, l’appareillage est un compromis : il nous faut, à nous audioprothésistes, faire pencher la balance du côté des avantages plutôt que des inconvénients : le coût, les piles, le fait de porter ses appareils et d’en prendre soin. C’est pourquoi il est souvent nécessaire d’accompagner véritablement les clients, lors de rendez-vous réguliers. »

Les obstacles à l’appareillage

Parmi les obstacles persistants, deux semblent majeurs. Le premier concerne le dépistage. Pierre-Jean Lemaire fait ce constat : « À partir de quel degré considérez-vous que vous avez besoin d’un appareil auditif ? Les gens montent le son de leur télé, ils n’entendent pas bien, mais se disent que le locuteur prononce mal ou parle trop vite… Pourtant, quand on voit moins bien, on se dit qu’on aura sans doute besoin de lunettes et on prend rapidement rendez-vous chez l’ophtalmologue. En ce qui concerne les troubles de l’audition, ils sont plus flous, ou plus exactement, on n’est pas assez informé sur les signes avant-coureurs de la perte d’audition, et on n’a pas spontanément la démarche de se faire dépister. Heureusement, la JNA diffuse ces informations. Aujourd’hui, on appareille de plus en plus tôt et de plus en plus loin en âge. »

L’autre verrou — pour ne pas dire tabou — est lié à l’image de soi, à cette idée que les appareils auditifs, c’est pour nos vieux jours. Il est un fait que nous disposons tous d’un patrimoine auditif, inégal d’un individu à l’autre, qui va s’amenuisant. Il est donc dans l’ordre des choses que notre audition baisse au cours de notre vie. Mais, tout comme pour nos yeux, s’il n’est pas pris en charge, le trouble auditif peut engendrer d’autres troubles cognitifs et sociaux. L’isolement, le repli sur soi ou l’agressivité en sont les manifestations les plus courantes. Par ailleurs, l’âge ne fait tout à l’affaire : en France, chaque année, 40 000 ados sont touchés par les troubles auditifs et 200 enfants naissent sourds profonds : des réalités méconnues, mais qui ont toujours existé. Les jeunes, eux, n’ont pas la même approche de l’appareillage : ils trouvent ça plutôt normal.

La Journée Nationale de l’Audition (JNA), jeudi 12 mars 2020

« Il s’agit d’un coup de projecteur sur l’audition sous toutes ses formes, à destination de tous les publics, pas exclusivement les personnes atteintes de troubles auditifs. Information, prévention : on y explique comment prendre soin de notre patrimoine auditif. », explique Pierre-Jean Lemaire.

Depuis 23 ans, précisément depuis 1997, l’association Journée nationale de l’audition organise une journée de sensibilisation nationale à la fin de l’hiver. Son objectif est la prise de conscience, pour chacun et à tout âge, de l’importance de l’audition pour la santé. Par exemple, elle informe sur l’impact des différents modes d’écoute : « Un casque de bonne qualité, avec atténuateurs, précise Pierre-Jean Lemaire, sera moins nocif que des écouteurs dont on montera le son à cause du bruit environnant. Il faut savoir que deux facteurs interviennent dans l’impact du bruit : l’intensité du son — mesurée en décibels — et la durée d’exposition. En clair, on peut écouter une musique relativement fort, mais le temps d’écoute doit être proportionnellement raccourci. »

Par ailleurs, la JNA vise également les pouvoirs publics, qui ont une vision curative de l’audition : positionner l’audition parmi les déterminants santé permettrait aux Français de prendre conscience de son importance pour la préservation de leurs performances intellectuelles et la qualité de leurs relations humaines.

Une vie transformée grâce aux appareils auditifs

Dans la cabine, face au client qui essaie ses appareils puis revient les faire régler, l’émotion est parfois palpable. Beaucoup de pleurs, de rires… de réactions qui ont besoin d’être déposées quelque part, souvent auprès des assistantes. « Ça a changé ma vie », confient les clients, étonnés, transformés, parfois méconnaissables. « Cette étape est très gratifiante pour nous, confie Pierre-Jean Lemaire, on a le sentiment d’ouvrir un pan de leur vie sociale, c’est l’effet qu’on recherche finalement, le but ultime de notre travail. On le constate même dans l’apparence de ces clients, à leur changement de coiffure, de look, d’attitude surtout. » Des paroles émouvantes, drôles, touchantes, c’est ce chat qu’on entend enfin ronronner, ses petits-enfants dont on entend enfin les voix… L’entourage proche est touché lui aussi par ce changement : « Ce n’est plus le même, dit cette épouse, il me parle à nouveau, m’écoute, rit avec moi. » Et cette femme qui avoue, soulagée : « j’ai communiqué à nouveau avec ma mère ». Régine et Céline ont maints exemples de ces métamorphoses : tel client, auparavant froid et distant, sur la défensive, est devenu un homme ouvert et plaisantin.

Tout se passe comme si le masque qu’ils portaient pour contrebalancer leur déficit auditif tombait, comme des boucliers devenus inutiles.

Nathalie DUNAND
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