Chalon sur Saône

TRIBUNAL DE CHALON - « Arrêtez de regarder BFM TV, monsieur. Commencez par là : arrêtez, c’est mieux. »

TRIBUNAL DE CHALON - « Arrêtez de regarder BFM TV, monsieur. Commencez par là : arrêtez, c’est mieux. »

« Monsieur, avec ce qu’on nous dit sur BFM et dans la rue, je sais plus quoi penser ! On nous dit de respecter une distance d’un mètre, et ils ne le font pas. Ils ont des gants en cuir à leurs ceintures, ils pouvaient les mettre. » « Ils » ce sont des policiers. Celui qui parle a 27 ans, il est jugé en visio ce lundi 26 mars parce qu’il a pété les plombs lors d’un contrôle. « Arrêtez de regarder BFM TV, monsieur. Commencez par là : arrêtez, c’est mieux. »

Ce lundi 23 mars, vers 16 heures, au quartier du Stade à Chalon, une patrouille voit deux hommes discuter. Ils sont proches. Les policiers décident d’aller contrôler leurs autorisations de sortie (il est surréaliste d’écrire une chose pareille : si nous sortons sans une autorisation en bonne et due forme, nous sommes tous désormais en infraction, ndla). Le contrôle est parti en sucette. A l’audience le prévenu présente des excuses aux policiers concernés, à deux reprises. Il dit qu’il était « déboussolé ».

« C’est juste ma fume ! »

Il portait un masque et des gants. Il ne respectait pas franchement la mesure de distance entre les personnes, mais avec son masque et ses gants il devait se croire invincible. Il dit qu’il n’a pas supporté qu’un des policiers s’approche de lui et le touche « sans gants ». Et il tourne en rond là-dessus, à en agacer les juges, ainsi que l’avocat des policiers. « Il avait de la drogue sur lui, c’est pour ça qu’il s’est affolé » lance maître Bibard qui représente les policiers. Une histoire de sacoche dont le prévenu a réussi à se débarrasser, semant le trouble par son comportement et ses insultes, appelant les copains à venir filmer l’interpellation. Auparavant il avait mis quelque chose dans sa bouche… « C’est juste ma fume ! »

L’air du temps fait place désormais aux menaces de contamination par le covid19

A l’audience il se rétracte. Son avocat plaide la relaxe sur l’usage de stups puisqu’il ne suffit pas de sentir l’odeur du shit pour prouver qu’il y en a, d’un point de vue juridique on est sur « une infraction imaginaire ». Relaxe également sur la provocation directe à la rébellion, juridiquement ça ne tient pas. Sur le reste, les outrages et les violences, il sera condamné.
Comme l’a justement rappelé maître Varlet, à une certaine époque les « Allah akbar » fleurissaient, étaient jugés comme apologie du terrorisme, place désormais aux menaces de contamination par le covid19, dont, rappelons-le également, bien peu d’entre nous savent s’ils en sont porteurs ou pas, puisqu’aucun dépistage de masse n’a eu lieu.

Le juge pose la ligne de partage 

« Bande de chiens, je vais vous contaminer, vous êtes des porcs » : sur place et pendant le transport au commissariat. « Je vais me lever et vous tousser dessus », « toi, je te parle pas, j’espère que tu vas choper la mort » : au cours des auditions. Le président Grandel comme toujours est direct et franc. Sans la moindre agressivité, ni quoi que ce soit qui permettrait au détenu de se sentir persécuté, le juge pose la ligne de partage : « Il ne faut pas inverser l’ordre des choses, rien ne justifie l’attitude que vous avez eu envers les policiers. Dans cette période trouble, tout le monde est un peu à cran. Il faut faire des efforts, on vit en société. »

« Faut arrêter les salades », résume un des assesseurs

On vit en société. Principe de réalité. Le prévenu soit en fait partie et se sait relié à cet ensemble et à l’effort qu’il exige, en tenant compte des éléments de réalité (qu’ils nous plaisent ou pas), ainsi que le coût associé (tout a toujours un coût), soit il s’en exclut et c’est une autre histoire mais c’est aussi un autre coût. « Je voulais juste qu’ils mettent des gants », repart le prévenu. « Mais arrêtez ! Ce n’est pas une raison pour tousser, pour cracher ! »  « Faut arrêter les salades », résume un des assesseurs. « Il joue avec les nerfs des policiers qui n’ont pas de quoi se protéger, et qui n’ont pas le choix, plaide Arnaud Bibard. Votre décision est attendue par les 200 fonctionnaires du commissariat. Ils veulent savoir s’ils sont protégés judiciairement contre de genre de comportement. »

« On ne fait que ça, agiter des peurs. Or la peur exacerbe les passions »

La procureur reprend les préventions une par une et estime que tout est caractérisé, elle requiert 12 mois de prison avec maintien en détention, et une amende de 135 euros (on n’a jamais trouvé l’autorisation de sortie). Damien Varlet reprend les préventions une par une et démontre que sur les 6, la moitié n’est absolument pas caractérisée. « Depuis le début de l’audience, on ne fait que ça, agiter des peurs. Or la peur exacerbe les passions. » L’avocat pousse le bouchon aussi loin que possible : « Cette infection au Covid19 qui fait peur, à juste titre, a-t-on un élément concret sur son existence, dans ce dossier ? Non. Le policier voulait que monsieur soit dépisté, la juge des libertés et de la détention l’a demandé : ça n’a pas été fait. »

« C’est un problème sanitaire national »

Pas de dépistage, pas de gants, pas de masques : les réalités qu’on vit tous se retrouvent toujours au tribunal, sous une forme concentrée, sous une forme judiciarisée, mais ce sont les mêmes. Pas de dépistage, pas de gants, pas de masques, il faut faire avec, quoi qu’on en pense par ailleurs. « Les policiers aimeraient avoir des gants, et des masques, monsieur, mais c’est un problème sanitaire national, recadrait le président. Vous, vous indiquez que vous étiez protégé, alors n’inversez pas l’ordre des choses. »
Vivre en société, vivre un temps de crise qui met tout le monde « un peu (parfois beaucoup, ndla) à cran », manquer du matériel de base qui donnerait une protection, et au moins apaiserait un peu les angoisses… Et ce prévenu, masqué, ganté, qui biberonne à une chaîne d’information en continu, et qui en fait un levier… La vie telle qu’on la connaît en ce moment s’est rejouée le temps d’une audience.

8 mois de prison ferme, maintien en détention
Le tribunal déclare le prévenu coupable d’outrages et de violences, le condamne à 8 mois de prison, ordonne son maintien en détention. Le condamne à payer 135 euros d’amende, et à indemniser les 4 policiers de 1 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral.

Florence Saint-Arroman

Note : le tribunal n’a pas suivi la défense sur la question de l’amende. Maître Varlet estime que la contravention n’a plus d’élément légal depuis que le décret du 23 mars a abrogé le décret du 16 : « le texte qui réprime vise un texte qui a été abrogé ».