Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - Alcoolisé, il dit avoir pris sa voiture pour éviter un acte terroriste

TRIBUNAL DE CHALON - Alcoolisé, il dit avoir pris sa voiture pour éviter un acte terroriste

C’est un monsieur qui semble doux et gentil. Il est aussi malade, très malade. L’alcool est venu à bout de son pancréas, et puis il a une tumeur au cerveau. Il n’a que 42 ans, il est né en Tunisie et sa peau est très foncée, quasiment noire. Il vit à Tournus, pour résider dans la même ville que sa fille, et quand il travaille c’est en intérimaire, il est électricien. La police l’a arrêté à Chalon-sur-Saône, le 22 juillet dernier, avec une alcoolémie à 2.25 g. C’est considérable. Et puis il conduisait malgré l’annulation judiciaire de son permis. Et puis il avait « emprunté », mais en droit ça s’appelle « voler », une voiture. Et puis il roulait trop vite et a percuté une voiture à l’arrêt à un feu rouge. En état de récidive légale, il est traduit devant la chambre des comparutions immédiates.

« Je demande un délai pour préparer ma défense », dit-il. Le tribunal va devoir statuer : faut-il le placer en détention provisoire en attendant son jugement, ou peut-on le laisser dehors, mais sous contrôle judiciaire ?

Pour le ministère public, c’est aisément plié : pas de travail stable et régulier, atteinte à la sécurité publique, 6 condamnations à son casier, essentiellement pour CEA (conduite sous l’empire de l’alcool), alors : détention provisoire.


Mais monsieur T. a une avocate, c’est obligatoire en comparution immédiate, cette avocate le défendra c’est certain, mais elle sert aussi dans un cas comme le sien, de courroie de transmission avec les magistrats, en portant pour lui une parole qu’il n’est pas en état de porter lui-même :
« Ma demande de renvoi est justifiée, expose Maître Mathilde Leray Saint-Arroman, car la comparution immédiate (procédure d’urgence, et « énergique » comme dit le ministère, ndla) n’est pas adaptée du tout à l’état physique et mental de monsieur T. Outre une tumeur au cerveau et une pancréatite déjà bien avancée, il a perdu la vue à l’œil droit et souffre d’une dégénérescence de l’œil gauche, et parce qu’on lui a volé sa sacoche, il n’a pas son appareil auditif. Je ne voulais pas que vous le jugiez dans cet état. » La réalité dépasse parfois ce qu’on pourrait imaginer.
L’avocate poursuit : « Il a du mal à mettre ses idées en place, et tient parfois des discours incohérents. Par exemple il dit qu’il a pris la voiture pour éviter un acte terroriste, et pense, il l’a dit dans le bureau du procureur, qu’on va le féliciter pour son acte héroïque. Il voit des animaux la nuit, il a des hallucinations. Mais monsieur ne veut pas d’expertise psychiatrique. Je veux être parfaitement transparente : j’aurais voulu des éléments concrets sur la santé mentale de monsieur. » La réalité dépasse vraiment parfois la fiction. Monsieur T. écoute, il est triste et grave.
« Il est sous Seresta, et puis dans le cadre des soins imposés dans son suivi mise à l’épreuve (condamnation de 2016) il a reçu un traitement pour se sevrer et il dit que depuis 8 jours il ne boit plus, donc le risque de réitération est moindre. Je voudrais qu’on le juge dans les meilleures conditions qui soient : il a besoin de voir du monde, il est extrêmement fragile. Si toutefois vous deviez l’incarcérer, il demande qu’on ne le mette pas à Varennes, il ne veut pas y retourner, ça s’est mal passé pour lui là-bas. »

Après en avoir délibéré, le tribunal annonce à monsieur T. qu’il ne le place pas en détention provisoire, mais sous contrôle judiciaire. Il devra pointer chez les gendarmes de Tournus chaque semaine, et si on le voit au volant, il sera incarcéré immédiatement. L’AEM, association d’enquête et de médiation, est désignée pour suivre son contrôle. Monsieur T. écrase doucement des larmes. Il sera jugé dans 1 mois.

 

FSA