Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - « Tout fout le camp. Aujourd’hui vous avez des professeurs qui jettent leurs cartables, des médecins qui jettent leurs blouses, des avocats qui jettent leurs robes. »

TRIBUNAL DE CHALON - « Tout fout le camp. Aujourd’hui vous avez des professeurs qui jettent leurs cartables, des médecins qui jettent leurs blouses, des avocats qui jettent leurs robes. »

Nous sommes à l’audience correctionnelle de 14 h, ce vendredi 24 janvier, fin de la 3ème semaine de grève des avocats, une grève illimitée. Plusieurs avocats sont dans la salle pour soutenir leurs confrères qui demandent le renvoi de l’unique dossier inscrit au rôle.

« Je pense que l’on s’avance vers une 4ème semaine de grève »

Maître Connault, du barreau de Dijon, est là pour l’un des deux prévenus. Il s’associe à la demande de renvoi développée d’abord par Maître Lépine (qui assiste l’autre prévenu), laquelle avait conclu : « Je soutiens cette demande de renvoi, dans les intérêts de mon client. » Pierre-Vincent Connault poursuit : « Les professeurs, les soignants, les avocats, … ça me pose un problème. Je croyais que dans le cadre d’une démocratie, le plus puissant moyen de participation, c’était ma voix, y compris s’il fallait la porter dans la rue. Or nous ne sommes pas écoutés, et dans la rue on se fait réprimer. Or la majorité des français est contre cette réforme. 100 % des avocats le sont aussi. Je pense que l’on s’avance vers une 4ème semaine de grève. »

« Nous ne sommes pas à l’hypermarché du droit », « nous sommes tous concernés »

« Aujourd’hui je vous demande (l’avocat s’adresse aux trois juges qui composent le tribunal) de finir ce qui a été commencé parce que nous sommes tous concernés. Bon nombre de mes confrères travaillent à l’aide juridictionnelle, or l’aide juridictionnelle est insuffisante pour faire fasse à nos charges. Les jeunes avocats seront les plus touchés et ça va s’imputer également sur vous, dit-il aux magistrats et à la greffière, car des cabinets fermeront. C’est la fin d’une époque, cette réforme. Et les avocats demanderont là aussi des renvois, car ils prendront tous les dossiers possibles, ne seront pas en mesure de plaider partout le même jour, la justice en sera entachée. Or nous ne sommes pas à l’hypermarché du droit. Nous travaillons comme de petits artisans et nous y sommes attachés. »

« Un gouvernement qui lui, évolue en vase clos »

« Je disais : tout fout le camp, plusieurs professions importantes pour la communauté sont vent debout, contre un gouvernement qui lui, évolue en vase clos. Cette réforme sera néfaste parce qu’elle veut faire des économies : on en fait déjà assez sur le dos de la justice ! (Cf. le discours de monsieur le procureur de la République lors de l’audience de rentrée, ce mercredi 22 janvier, cf. les effectifs incomplets, et la situation du greffe qui est toujours aussi difficile, ndla) » L’avocat évoque son cursus, la formation en école, le nombre d’heures travaillées chaque semaine, les week-end aussi, « on pense à nos dossiers tout le temps ».

« …comme verser une petite bouilloire d’eau chaude dans une piscine d’eau froide. C’est ridicule »

« J’estime pouvoir devoir exercer mon métier en toute indépendance. Je ne peux pas tolérer l’atteinte à mon indépendance. Nous avons un système très sain que le gouvernement veut inclure dans un système malsain, pour quelques milliards ?! Mais ça serait comme verser une petite bouilloire d’eau chaude dans une piscine d’eau froide. C’est ridicule. On ne peut pas laisser passer ça. »

« Aujourd’hui, si la justice se dérobe, tout part »

« Je vous le dis, je ne plaiderai pas, car les enjeux sont trop importants. Mon client a des consignes et il connaît les voies de recours. Le parquet va demander le renvoi mais la parole est libre et le tribunal est parfaitement indépendant. Le ministère public représente une société qui est à 61 % opposée à cette réforme, et il s’oppose au renvoi ? Quelle société représente-t-il ? Nous aussi, en tant qu’avocats, nous avons le souci de l’intérêt de la société. Je ne lâcherai pas, et certainement pas après 3 semaines de grève car on en arrive à gêner : on veut gêner le gouvernement. Aujourd’hui, si la justice se dérobe, tout part. » L’avocat défait rapidement sa robe et va la poser devant l’estrade où siègent les magistrats.
La substitut du procureur s’oppose au renvoi de ce dossier renvoyé déjà plusieurs fois (maître Lépine avait retracé la chronologie et les motifs différents à chaque fois), « on sait tous les difficultés d’audiencement, et ce sont des faits de mai 2018 »

« On sent qu’aujourd’hui on prend un virage, ça se durcit »

Pendant le délibéré, les avocats échangent. « On sent qu’aujourd’hui on prend un virage, ça se durcit, constate maître Diry. Ce matin j’étais aux Assises pour l’information des jurés. La présidente m’a laissé un temps de parole pour parler de notre mouvement et l'expliquer aux gens, qui sont représentatifs de l’ensemble du corps social. Il y a eu des applaudissements. Donc ça se durcit mais j’ai le sentiment qu’une partie de l’opinion publique commence à comprendre quelque chose de ce qu’on dit. »

« Le profil du métier a changé »

Maître Malinka Trajkovski insiste sur l’évolution de cette profession, évolution pas encore bien perçue par le public : « On est nombreux à avoir sacrifié beaucoup de choses pour parvenir à faire ce métier. On n’est pas tous des ‘fils de’. Certains ont travaillé pendant leurs études, certains étaient boursiers et donc travaillaient en plus, d’autres ont fait des prêts étudiants. Le profil du métier a changé. La réalité d’un jeune avocat aujourd’hui c’est qu’il roule en Clio, en Megane, et qu’il gagne 2000 euros par mois, quand il y arrive ! C’est un revenu médian tiré vers le haut par les revenus importants. Aujourd’hui on veut nous impacter d’un tiers pour une retraite de 1000 euros par mois ? »

« Si cette réforme passe, ceux qui interviennent dans le secteur assisté disparaîtront »

Elle revient au serment que prêtent les avocats : « Si on ne nous permet pas d’intervenir au titre de l’aide juridictionnelle, alors les plus faibles, les plus démunis, seront laissés pour compte. Ce n’est pas le serment que j’ai prêté. Si cette réforme passe, ceux qui interviennent dans le secteur assisté disparaîtront, il ne restera que les gros cabinets, ça fera une justice à deux vitesses. Notre serment parle d’humanité : où est l’humanité si nous ne pouvons plus travailler aux côtés des plus pauvres ? »

Dossier renvoyé

Le tribunal ordonne le renvoi de ce dossier à l’automne prochain. « Le tribunal respecte une parole qui a été largement portée devant lui. »

Florence Saint-Arroman