Faits divers
TRIBUNAL DE CHALON - 34 ans et 33e condamnation....
Publié le 03 Mars 2020 à 08h08
Le costaud est éperdu, comme perdu. Il parle vivement. On est le jeudi 27 février, à l’audience des comparutions immédiates. Lui, il s’est fait arrêter le 24 au matin. Il a fait 48 heures de garde à vue, puis il a été placé en détention provisoire. 32 condamnations à son casier, il connaît la musique. Mais il est perdu, éperdu, parce que « en deux heures de temps, ma vie a basculé ».
Il le dit et le répète : il n’aura fallu que deux heures pour que sa vie bascule. Ce costaud-là est touchant. Touchant, ça ne veut pas dire « gentil », ni « innocent », ça veut « touchant ». C’est un homme de 34 ans, qui a été incarcéré « combien de fois ? » lui demande la présidente Verger. « Je sais pas ! Je sais plus ! » répond-il, perdu, éperdu. La représentante du parquet le lui reprochera : s’il ne sait même pas ça, c’est que quelque part il doit s’en ficher. Passer en justice, serait-ce comme passer un entretien d’embauche ? Vous ne savez pas votre CV par cœur ? Alors vous n’êtes d’ores et déjà que trop peu investi pour mériter un emploi. La vie sociale n’a pas que des bons côtés ni que des traits intéressants, c’est ainsi.
Menaces de mort, et peut-être deux gifles
Bref, lui, il ne sait pas, il ne sait plus, mais ce qu’il sait c’est qu’il a toutes les chances d’y rester, une fois de plus, parce que, dans la nuit du 23 février, il y a eu une grosse scène entre sa chérie et lui. Le genre de scène publique qui fait s’arrêter les passants. Quand les policiers sont intervenus, elle était en vrac. Pire que ça : terrorisée, rapporte le PV. Elle a une joue rouge, elle dit qu’il l’a giflée. Et puis il l’a poursuivie en la menaçant de mort. « Je vais te buter, je vais te tuer sale pute. » La prise en charge de la femme est compliquée, elle ne veut pas des pompiers, elle ne veut pas voir un médecin, elle ne veut pas poser plainte. En vrac.
Un coup de foudre, des assises fragiles, et l’héroïne au milieu
Les images de vidéo-surveillance collectées ici et là montrent le couple marchant main dans la main en début de soirée et puis plus tard on le voit lui, marcher à grands pas énervés, en train de vociférer des trucs, mais on ne sait pas quoi. Les images sont moyennes et le son est pire. Ils étaient partis « à la fête foraine, pour y chercher de l’héroïne ». Une partie du nœud du problème est là : madame est accro, et lui ça commençait à lui faire cher, d’autant qu’il en prenait aussi un peu. Ils s’étaient rencontrés il y a deux mois et demi. « Le coup de foudre » explique-t-elle aux policiers. « Je suis tombé amoureux », dit-il de son côté. Ils passent un deal, un arrangement : elle s’occupe de son père à lui, qui est très malade, et lui il tâche de pourvoir à la vie matérielle et toxique.
« Elle était en manque, c’est tout »
Voilà pour le contexte, en gros. Ils n’ont pas vu « les personnes », ils n’ont pas pu acheter de drogue. Les humeurs ont dégénéré. Il raconte, il dit la tension qui montait. « Mais je ne l’ai pas frappée. » « Vous considérez-vous comme quelqu’un qui peut être violent ? – Oui, je ne vais pas vous mentir. » A son casier, des faits de violence. Voilà pourquoi il soufflait quand il est entré dans le box. Toute cette pression en lui. Puis il s’est penché un peu pour voir la salle. Il cherchait quelqu’un du regard, un sourire par anticipation sur les lèvres. Mais personne pour lui dans la salle. Le sourire s’est effacé, il s’est redressé et il a soufflé à nouveau. Fichue pression. Et pourquoi sa copine semblait-elle terrorisée ? « Elle était en manque, c’est tout. »
Les bascules, il connaît
Ce costaud est éperdu. « En deux heures de temps ma vie a basculé. » Et les bascules, il connaît. Placements « multiples » pendant son enfance, et le centre éducatif renforcé. Il vit chez son père, gravement malade. Il a un accompagnement social (auquel il est attaché). Il a perdu sa mère, il dit que ce fut un tel choc que ça l’a fragilisé. Entendre : fragilisé « encore plus ». Ce n’est pas sa seule fragilité. Le juge d’application des peines écrit qu’il a « une grande fragilité dans son rapport à la loi » et pourtant le SPIP relève une sortie de la délinquance : « la désistance peut-être réelle malgré la commission de nouvelles infractions ». Pente ascendante, enfin.
« On nous dit que monsieur veut changer, vous avez compris qu’il en est incapable »
C’est sans compter sur le parquet. « Au sujet du rapport du juge d’application des peines : peut-être que monsieur souhaite changer ! Mais il ne change pas. Monsieur est quelqu’un de violent. » Aline Saenz-Cobo, vice-procureur, s’est lancée dans des réquisitions « constrictor », à l’image de certaines plaidoiries qui durent des heures et qui vous laissent rincés, et à bout de souffle, c’est sans doute le but. C’est que rien ne vient établir des violences, en dehors du « déclaratif ». C’est mince. Mais : « On nous dit que monsieur veut changer, vous avez compris qu’il en est incapable. Je veux bien qu’on parle de désistance et qu’on écrive tout ce qu’on veut du côté du SPIP qui manifestement s’est fait embarquer, mais… » Ici, elle se réfère à ce qu’a écrit un médecin sur « les traits manipulateurs et séducteurs » du prévenu.
« Avec la contrainte pénale, il n’y a pas de carotte et de bâton »
« …mais y a pas de désistance. On a un ancrage dans la délinquance. On vous suggère une contrainte pénale (sourire)… avec un tel casier on ne voit pas. Et avec la contrainte pénale, il n’y a pas de carotte et de bâton. » La procureur anticipe sur une objection assez évidente, « l’incarcération n’a rien changé non plus », puis avance son argument : « mais au moins pendant ce temps-là, il n’est pas ailleurs. Donc, aujourd’hui, il faut un retour derrière les barreaux. » Suit un discours sur la victime, qui certes ne serait pas la personne la plus équilibrée ni la mieux insérée du pays. « Madame X, elle est paumée, depuis longtemps, et elle passe de monsieur Y en monsieur Y (le prévenu, qui devient un genre à lui tout seul). Mais, malgré ce qu’elle est, elle mérite que votre décision fasse sens pour elle. » Le débit de parole est serré, sans pause, sans respiration. Prison et maintien en détention, voilà le programme.
Le contexte des menaces : alcool et état de manque
La défense a la parole. Maître Serge Moundounga Tsigou reprend les éléments qui indiquent que son client « est en train de se reconstruire », voire de se construire tout court, pas à pas. « Les violences ne sont pas caractérisées », insiste-t-il. « Madame le procureur nous dit que ‘ce n’est pas le caractère de madame’, mais le parquet la connaît d’où ? » L’avocat demande la relaxe pour les violences, et souhaite que le tribunal prenne en compte le contexte des menaces : alcool et état de manque. Le prévenu veut dire quelques mots, il demande l’autorisation de se lever. Accordée.
« C’est la première fois de ma vie que je me retrouve dans cette situation, parce que je suis réellement innocent. Ce qui m’est arrivé en deux heures de temps, c’est la poisse ! (il pleure, il se rassied) Je suis prêt à lui pardonner (d’avoir chargé sa barque, ndla), mais je ne peux pas rester avec elle. »
Comment s’extraire de sables mouvants ?
Plus tôt au cours de l’audience il expliquait les difficultés à marcher dans de tels sables mouvants. « J’ai fait des tentatives de suicide en prison, j’en avais marre de cette vie qui…, qui n’avait aucun sens, quoi ! Je suis reconnu handicapé à 80 %, alors je passe par Cap Emploi pour chercher du travail. Je suis allé (ici) et (là), mais on n’a pas voulu de moi. On me disait : monsieur Y, votre passé… vous faites peur. J’étais démoralisé. »
« C’est à cause de mon passé, ça »
Le tribunal le relaxe pour les violences, « pas caractérisées », le condamne pour le reste, soit des menaces de mort (en récidive : ça double la peine encourue). Et voilà, 33èmecondamnation, à 6 mois de prison et révocation de 2 mois de sursis. Maintien en détention. Il encaisse. Son avocat se tourne vers lui. Le costaud se penche en sa direction : « C’est à cause de mon passé, ça. C’est à cause de mon passé. Je vous jure, maître, que je ne l’ai pas tapée. Je lui ai peut-être mal parlé avec ma bouche, mais… » Mais 8 mois ferme, immédiatement.
Florence Saint-Arroman
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