Faits divers

Sans argent, il s'est dit que le plus simple était de voler des vêtements sur la zone sud de Chalon

Par Florence SAINT-ARROMAN

Publié le 15 Février 2022 à 08h51

Sans argent, il s'est dit que le plus simple était de voler des vêtements sur la zone sud de Chalon

Cet homme, âgé de 41 ans, était venu à Chalon, « exprès pour passer le week-end avec une copine ». Il arrive, jeudi.

« J’ai peur de me retrouver à la rue, madame »

Le 10 février vers 20 heures il est interpellé alors qu’il volait une veste et un pull dans un magasin d’articles de sport, sur la zone commerciale de Chalon sud. Le 11, sa garde à vue est levée vers 16 heures mais moins de trois heures plus tard, il gagne un autre ticket pour un séjour en geôle au commissariat. Il avait volé deux paires d’écouteurs en grande surface.

L’image de la sobriété, et d’une digne modestie

De revoir des uniformes alors qu’il venait tout juste d’en souper, ça l’a un peu agacé, et la présidente Caporali le trouve un peu gonflé, tout de même, à l’audience de comparutions immédiates de ce lundi 14. Pourtant, ce qui frappe, c’est d’abord son regard, grave, et puis ensuite son pardessus à la couleur insignifiante, boutonné jusqu’en haut, les pointes du col sagement posées de chaud côté. On aperçoit un imprimé qui dépasse, une chemise, ou un foulard. Il donne l’image de la sobriété, et d’une digne modestie. Son discours détonne un peu, dans ces conditions. On comprendra petit à petit pourquoi.

« Pas de pot »

Cet homme, âgé de 41 ans, était venu à Chalon, « exprès pour passer le week-end avec une copine ». Il arrive, jeudi. « Quand je suis arrivé, comme j’avais pas d’argent, je suis entré à Intersport pour essayer des habits, voir les nouvelles collections. Mais pas de pot. J’avais pas d’argent. J’avais pas payé le train. » Ensuite il oscille entre deux pôles : le pôle fashion (on trouverait à Chalon des vestes qu’on ne trouve pas à Dijon - il en arrache même un sourire à la présidente), et le pôle pratique (les revendre « pour avoir un peu des sous pour passer le week-end avec la fille et acheter un billet retour »).

« Je ne pensais pas me faire arrêter, madame »

Le lendemain il sort libre (avec une convocation en justice pour septembre) du commissariat et il file en grande surface. « Quand ils m’ont relâché, j’avais même pas de quoi payer le bus. J’ai trop d’amendes SNCF, madame. 
- Dans quel but vous allez dans à Carrefour ? 
- Regarder si je pouvais avoir quelque chose pour me payer un billet. 
- Donc c’était dans l’intention de voler ? 
- J’avais pas d’argent, madame. Je suis navré, je suis navré. 
- C’est bien beau, mais vous sortiez de garde à vue ! 
- C’est un problème de sous, madame, j’avais pas d’argent avec moi. 
- A l’aller vous ne payez pas, mais pour le retour il vous faut absolument un billet. C’est un peu surprenant. Vous commettez une infraction pour être en règle par ailleurs, c’est pas très logique. 
- Je ne pensais pas me faire arrêter, madame. 
- Ce n’est pas le problème, là. 
- J’ai fait beaucoup de peines de prison en Gironde de 2008 à 2017. J’ai eu un bracelet, je me tenais à carreau. J’ai trouvé du travail. J’ai un certificat en fibre optique, il ne me manque que le permis, madame. »

« C’est un grand travail que j’essaie de faire, madame, d’arrêter tout ça »

Il est né en Angola, on ne saura rien de ses conditions d’arrivée en France. Il s’exprime bien. Il a eu 3 enfants, « avec deux mamans » précise-t-il. Ils sont grands, « la cadette a eu 18 ans ». Mais son existence se trouve grevée par les drogues. Héroïne, cannabis, cocaïne. Les peines tombent pour trafic de produits stupéfiants et il est camé jusqu’aux yeux. De suivis en injonctions de se sevrer, il a décroché de l’héroïne. « C’est un grand travail que j’essaie de faire, madame, d’arrêter tout ça. » Chaque mois, son médecin traitant lui délivre une ordonnance, il prend 16 mg de Subutex par jour. « Mais vous continuez à prendre de la drogue », relève la présidente. « Madame, c’est un grand travail. » A-t-il volé pour revendre et pouvoir s’acheter de la drogue ? Il dit que non. Il a une grosse dette SNCF pour avoir voyagé sans titre de transport. « Environ 3 000 euros. »

Le parquet demande une peine d’un an avec maintien en détention

« J’ai peur de me retrouver à la rue, madame. Et je suis navré, désolé. » Anne-Lise Peron, substitut du procureur, signale que le prévenu est convoqué au tribunal de Besançon en mai, pour des vols commis en janvier dernier. « Il vole sans doute pour se fournir en stupéfiants. » De surcroît, soit il comparaît sous escorte, soit il ne se présente pas aux audiences. Et puis là, il était déjà en récidive et il recommence en sortant du commissariat, et puis… elle requiert une peine de 12 mois de prison avec maintien en détention.

« Il s’est sorti du trafic et de l’héroïne, il a fait des efforts substantiels »

« Je suis un peu abasourdi par la sévérité des réquisitions qui demandent quasiment une peine de bannissement pour ‘éloigner monsieur des magasins’. Mais, quand il sortira de prison, s’il y va, ces magasins existeront toujours. Il aurait fallu l’envoyer au bagne, à Cayenne, sauf que le bagne n’existe plus. Je veux bien admettre que ce comique de répétition ne soit pas du meilleur effet, mais on est sur un trouble à l’ordre public qui n’est pas un réel trouble à l’ordre public. On n’est pas sur un braquage », plaide maître Marceau. 
L’avocat parle de « problème d’intégration sociale », et de « détresse sociale ». « Il a eu une trajectoire difficile mais il y a du positif. Il a fait des formations professionnelles. Alors, il a volé peut-être par tentation, il a volé peut-être pour revendre et acheter un billet, ou peut-être pour acheter de la drogue, on ne sait pas, mais sa situation n’est pas similaire à celle de 2017 : il s’est sorti du trafic et de l’héroïne, il a fait des efforts substantiels. Il ne faut pas le désocialiser, et constater que ce sont des vols pour 2 fois 100 balles. Il mérite une sanction, oui, mais pas une incarcération de cette durée. »

« Comment je vais revenir à la gare, ce soir ? » 

Le tribunal relève l’état de récidive légale, déclare le prévenu coupable et le condamne à une peine de 6 mois de prison dont 3 mois sont assortis d’un sursis probatoire renforcé pendant 2 ans (obligation de soins et de travailler). Aménage la partie ferme en détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE). Il devra indemniser la grande surface à hauteur de 169,49 euros. 
« C’est clair, madame, et je vous remercie. 
- Monsieur, on ne veut plus vous revoir voler dans les magasins. Et rendez-vous à Besançon en mai, en payant votre billet de train. Et puis évitez d’aller voir les nouvelles collections dans les boutiques. » 
Il est 18h30. L’escorte va le ramener au centre pénitentiaire pour faire la levée d’écrou, puis il pourra franchir les portes de la sortie, mais « ça fait tard, et je serai à Varennes. Comment je vais revenir à la gare, ce soir ? » Bonne question.

FSA