Saint-Marcel

« Quand on l’a trouvé sur la route, son visage était en cinq morceaux »

« Quand on l’a trouvé sur la route, son visage était en cinq morceaux »

Lynché au bord du lac de Saint-Marcel, il s’en sort de justesse, le visage littéralement mis en morceaux, les os détachés de la base du crâne.

Connaissez-vous les fractures de Le Fort* ? Vous le sauriez si vous aviez assisté à l’audience de comparution immédiate, ce jeudi 12 mai. Comme le résume maître Marceau : « ça disjoint les os du crâne. » Blessures de gravité sévère.

L’auteur des coups est dans le box, la victime, dans la salle. Ils se connaissent depuis pas mal de temps et voilà pas que, désœuvrés, le jeudi 17 février, ils estiment que c’est une journée idéale pour aller descendre une bouteille de Vodka entre potes au bord du lac à Saint-Marcel. Ce qu’ils font. Jusqu’au moment où l’un d’eux a titubé jusqu’à la route, et y a perdu connaissance. Une chance que le véhicule qui s’est arrêté ne lui ait pas roulé dessus. Folle histoire, car, on y reviendra, il était grand temps, après une bonne heure d’instruction, que Julien Marceau, avocat de la victime, explique les blessures de son client. Rien, jusque-là, mais vraiment rien, ne nous laissait supposer l’extrême gravité des fractures infligées par le prévenu. S’il titubait ce n’était pas d’avoir trop bu.

La victime - « J’ai fait le mort »

C’est un homme, il a eu 45 jours d’ITT, couverts d’œdèmes et de fractures pas pensables du massif facial comme on dit en médecine. Il est à l’audience des comparutions immédiates ce jeudi 12 mai. Il dit que le prévenu lui avait emprunté son téléphone mais ne cessait plus de s’en servir. Il lui intime alors de le lui rendre. … Le premier coup l’a fait tomber. Puis ce fut l’antichambre de l’enfer. « J’ai fait le mort », pour que les autres s’arrêtent (ils étaient trois à se rendre au lac, apprend-on au début de l’audience, mais ensuite on n’a plus entendu parler du 3ème), et ça a marché. Il rejoint la route, s’écroule. 

Le prévenu 

31 ans, né à Saint-Rémy. « Y m’a dit bâtard, enculé, ça se fait pas ce que tu fais, nanani... Quand il m’a traité de fils de pute, c’est à ce moment-là que j’ai dit ‘tu me traites pas de fils de pute’. Il est au courant que ma mère est malade, qu’elle fait des chimiothérapies, et... » Et le président ferme le robinet, il reprend la parole. C’est qu’il est difficile d’avancer... Enfin bref, c’est là que la bagarre a commencé, et que l’un s’est montré plus fort et ô combien violent mais le prévenu n’en démord pas, il rouvre le robinet et dit qu’il était en état de légitime défense.

« C’est l’un ou l’autre, monsieur, pas les deux. Alors c’est quoi ? - C’est l’autre ! »

Le président Madignier essaie de clarifier : soit le prévenu est en état de légitime défense auquel cas il le clame et demande une relaxe, soit il reconnaît comme il vient de le faire que ses actes étaient hors proportion, et c’est différent. « C’est l’un ou l’autre, monsieur, pas les deux. Alors c’est quoi ? - C’est l’autre ! » s’exclame l’homme. 

L’audience surnage dans une confusion générale

L’expertise psychiatrique ordonnée le 4 avril dernier semble un peu confuse elle aussi (le prévenu est confus et génère de la confusion, l’instruction n’est pas claire non plus, ndla). Le président lui-même s’interroge. En effet, l’expert dit que le prévenu ne souffrait pas d’une altération du discernement au moment des faits, alors que celui-ci souffre par ailleurs d’un « trouble psychotique en lien avec la consommation de toxiques ». Diagnostic antérieur : schizophrénie. Au CHS de Sevrey, en 2019, on lui prescrit un traitement de Risperdal, mais il cesse de le rendre peu après sa sortie. L’avocate du prévenu fera un sort à cette expertise, « de trois pages », « qui ne nous apprend rien » à se demander si ça vaut la peine de demander le concours d’un psychiatre. L’expert dit que le prévenu est « accessible à la sanction pénale », parle de sa « dangerosité criminologique » : « prise de toxiques », « antécédents judiciaires » (faits de violence, beaucoup de vols), impulsivité, tendance à se trouver des excuses ».

Réquisitions : 30 mois de prison ferme et un sursis probatoire

Le prévenu est jugé également ce jour pour avoir mis le feu au paillasson d’une femme chez laquelle il avait passé la soirée avec d’autres. La porte est dégradée. Marie-Lucie Hooker, substitut du procureur, commence ses réquisitions par ce fait du 12 mars. Puis passe à ceux du 17 février au bord du lac de Saint-Marcel et synthétise ses arguments : 11 condamnations (il a fait beaucoup de prison), un problème de nature addictive, est en état de récidive légale, était en sursis probatoire, sortait de prison, est accessible à une sanction pénale. Elle requiert une peine de 3 ans de prison dont 8 seraient assortis d’un sursis probatoire renforcé, et la révocation de 2 mois de sursis.

6 plaques sous la peau du visage

Pour vous faire une idée de ce qu’a subi, ressenti, la victime, qui souffre encore de ses blessures (une nouvelle opération est prévue bientôt pour retirer une plaque - l’homme, présent à l’audience en a en tout, six sous la peau du visage ! Il est devenu insensible d’un côté et il est paralysé sur une zone de l’autre) - pour vous faire une idée, donc, vous cherchez « fractures de Le Fort » et vous comprendrez pourquoi les médecins dijonnais ont dû poser six plaques sur un seul visage. Le rapport du médecin dit « fractures Le Fort, 1, 2, et 3 ». 

Une violence « incommensurable »

Sur la fracture III, on trouve ceci : « Classiquement, elle disjoint dans son ensemble le massif facial (maxillaire, os zygomatiques, région nasale) de la base du crâne. » Julien Marceau a cherché, lui aussi, « lorsque monsieur est récupéré par les médecins, et immédiatement adressé à Dijon, son visage est en cinq morceaux ». Tout ce qui est soudé (la seule partie du visage et du crâne qui est mobile, c’est le maxillaire inférieur, ndla) ne l’est plus ! Il est façon puzzle, mais c’est pas drôle du tout, parce qu’il l’est vraiment. 
On insiste parce que ce type de blessure, s’il apparaît heureusement peu aux audiences locales, exprime une violence « incommensurable » dit l’avocat qui évoque les conséquences physiques (soins, opérations, insensibilité, paralysie, douleur !) et psychiques (réminiscences). Il demande une expertise et un renvoi sur intérêt civil. 

Le « travail visiblement bâclé de l’expert psychiatre »

Il revient à maître Charrier de défendre le prévenu. L’avocate demande une relaxe pour les faits de dégradation d’une porte. Tous les protagonistes sont connus de la justice, et pourquoi croire ces dames alors que finalement aucun autre élément objectif ne vient assurer la culpabilité de son client qui boit ses paroles ? Pour la violence… Maître Charrier regrette le traitement de la comparution immédiate pour un dossier « peu ordinaire ». Elle parle du « travail visiblement bâclé de l’expert psychiatre », insiste sur les soins dont le prévenu a besoin.

38 mois de prison ferme et un sursis probatoire

Le tribunal dit le prévenu coupable et le condamne à la peine de 4 ans de prison dont 1 an est assorti d’un sursis probatoire renforcé, ordonne son maintien en détention. Révoque les 2 mois de sursis prononcés en septembre 2019, ordonne son incarcération immédiate. Interdiction de tout contact avec les victimes ainsi que de paraître vers leurs domiciles. Obligations de soins psychiatrique et addicto. Indemniser les victimes. 
« Monsieur, vous minimisez la gravité des faits et cela vous rend dangereux pour les autres. Vous présentez une dangerosité criminologique à laquelle les peines de prison n’ont pas apporté de réponse adéquate. » Le condamné ne fait que grommeler, veut faire appel. Il fait saillir les muscles de ses bras, on aperçoit la lave qui coule dans ses veines, on se demande en quoi la prison pourrait changer cela.

FSA

* « Les fractures de Le Fort sont définies par le détachement du plateau palatin et de la base du crâne. La hauteur de la séparation détermine la classification de Le Fort. Ces fractures ont aussi tendance à déplacer l’arcade dentaire maxillaire et à créer ainsi un trouble occlusal. Toutes les fractures de Le Fort touchent les cavités naturelles du massif facial (orbite, sinus maxillaires, fosses nasales, cellules ethmoïdales). De ce fait, elles doivent être considérées et prises en charge d’urgence comme des fractures ouvertes. Tous les patients doivent également être traités comme des personnes atteintes de traumatismes crâniens en raison de la violence du choc à l’origine de la fracture. »