Société

Un salarié, un compte bancaire, une nouvelle règle

Un salarié, un compte bancaire, une nouvelle règle

Au registre des violences économiques, 18 % des victimes se font déposséder de leurs ressources financières. Salaire, allocation familiale ou indemnité Pôle emploi sont alors perçus par le conjoint. La loi entend désormais changer la donne.

Le 3919, la ligne d'écoute nationale à destination des femmes victimes de violences, reçoit pas loin de 100 000 appels par an. Or, 25 % des faits dénoncés en 2021 concernaient des violences économiques, d'après le bilan de Solidarité Femmes, la fédération en charge du dispositif. Chantage économique, contrôle des dépenses ou encore privation des ressources sont en effet des réalités trop souvent ignorées. Un nouveau cap législatif vient toutefois d'être franchi pour favoriser l'indépendance financière des femmes.


FAILLE JURIDIQUE
Parmi les dates emblématiques dans la lutte pour l'égalité des sexes, 1965 est à marquer d'une pierre blanche puisque c'est cette année-là que les femmes ont obtenu le droit d'ouvrir un compte bancaire en leur nom et à travailler sans le consentement de leur mari, comme nous l'a rappelé Me Florence Neple, présidente de la commission Égalité au Conseil national des barreaux. « La logique aurait voulu que, dans le même temps, l'employeur verse le salaire d'une employée féminine sur le compte de cette dernière. Pourtant, le législateur n'y a pensé qu'en 2021 ! », complète l'avocate. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le Code du travail n'avait jusqu'à récemment rien prévu en la matière, et la rémunération d'un travailleur pouvait donc être librement versée sur le compte d'une autre personne, et notamment son conjoint, qui pouvait en disposer comme bon lui semble…

 


DÉPOSSESSION DES RESSOURCES
« Les violences économiques sont multiples », nous confie le cabinet du ministère de l'Égalité entre les femmes et les hommes en citant « le contrôle des dépenses, la privation des ressources, le chantage économique, la mainmise administrative, par le biais d'une gestion exclusive des démarches par le conjoint de la victime, la prise de contrôle des ressources du couple et de leur emploi, en exigeant notamment le versement du salaire de la conjointe sur un compte qu'il maîtrise… ».
Loin d'être un cas d'école, la dépossession des ressources représente 18 % des formes de violences économiques dénoncées au 3919 en 2021. Témoin de la détresse des victimes, Françoise Brié, directrice générale de la fédération nationale Solidarité Femmes, a vu de nombreux cas où « le conjoint violent subtilise le salaire, mais aussi les allocations familiales et même l'indemnité Pôle emploi ». Or, ces violences sont d'autant plus faciles à infliger en l'absence de compte bancaire personnel. « Lorsque les femmes victimes finissent par partir, elles doivent souvent recréer un compte bancaire et multiplier les démarches pour récupérer le contrôle de leurs indemnités et allocations, soit parce que tout était versé sur le compte joint, soit parce que ça allait sur le compte personnel de Monsieur. » Et de préciser : « Il y a encore aujourd'hui des femmes qui n'ont pas du tout de compte bancaire. »


L'AVANCÉE DE LA LOI RIXAIN
La loi Rixain du 24 décembre 2021 entend lutter contre ces violences économiques. Entre autres mesures, elle impose depuis le 27 décembre 2022 que tous les salaires, mais aussi les prestations sociales, payés par virement soient obligatoirement versés sur un compte bancaire dont le bénéficiaire est le titulaire ou cotitulaire. En clair : il faut que le nom de l'employé ou de l'allocataire apparaisse sur l'entête du RIB. Pour être en règle, les employeurs et organismes sociaux doivent donc contrôler les identités référencées sur les justificatifs des comptes bancaires et demander les RIB adéquats s'ils ne conviennent pas. Une « avancée positive » à laquelle Solidarité Femmes a contribué, mais pas forcément décisive au vu du contrôle souvent exercé par les conjoints violents sur le compte commun…


LE COMPTE JOINT DANS LE COLLIMATEUR
Associations comme avocats constatent au quotidien à quel point le manque d'indépendance financière constitue un frein supplémentaire au départ des femmes victimes de violences conjugales. Si le compte joint est un premier marqueur positif à défaut d'absence totale de compte, « l'idéal est d'avoir un compte bancaire personnel sur lequel on reçoit ses revenus », serine la directrice de Solidarité Femmes, en rappelant que « le respect de l'autre passe par l'autonomie financière ». Et Me Neple d'ajouter : « Cette mesure de sécurisation du salaire ne règle pas tout puisque j'ai vu des cas où seul le mari a la gestion du compte joint. » Une seule carte bancaire, un seul identifiant de connexion, un seul gestionnaire… ce sont autant de signaux d'alerte !
De l'avis de nos intervenants, ce serait un progrès que le législateur interdise tout bonnement le versement de la rémunération sur un compte commun. Mais une telle immixtion dans les choix de gestion financière des couples semble actuellement inenvisageable.


Julie Polizzi

 

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