L’application des peines (4) : Le choc carcéral
Par Florence Saint-Arroman
Publié le 30 Mai 2023 à 06h00
Condamné 6 fois pour des conduites sous l’empire de l’alcool, cet homme finit par être incarcéré, à domicile. Las, avant même la pose du bracelet électronique, il réitère et là, c’est le drame.
Pendant une douzaine d’années, l’homme s’est heurté à l’institution judiciaire : il boit trop, et il conduit. Or si la société vous donne le droit de vous rendre malade chez vous, elle vous interdit de mettre autrui en danger, donc elle vous interdit de conduire alors que vous avez trop bu. Cet homme est donc à chaque fois qu’il est contrôlé au volant, jugé et sanctionné. A chaque fois il reconnaît être en tort, être dangereux, sauf qu’il se raccroche à l’idée d’une consommation « festive », façon d’évacuer la réalité de sa dangerosité. Comment ce qui est qualifié de « festif » pourrait-il être dangereux ?
Le déni
Donc, il se heurte mais reste dans une forme de déni. Le déni est un mécanisme de défense (très courant) que l’addictologie, discipline médicale vieille d’une vingtaine d’années, a intégré à son discours. Le déni ne se lève pas « comme ça ». Cette histoire montre bien qu’il résiste, entre autres, à la justice pénale et à ses sanctions.
2 grammes, un mort
Alors que ce monsieur, récemment condamné, était dans l’attente de la pose d’un bracelet électronique pour exécuter sa peine, il va faire la fête. Il boit sans pouvoir s’arrêter, comme d’habitude, et prend le volant. Un de ses cousins est passager. Ce soir-là, l’homme fait une sortie de route très violente. Son passager décède sur le coup. Le conducteur, alors qu’il est incarcéré dans la tôle de son véhicule, ne se soucie que de son cousin : comment va-t-il ? Ce décès l’affecte fortement et l’abat. Il avait une alcoolémie à 2 grammes, « soit 10 unités d’alcool servies en bar » explique le JAP.
Deux audiences : correctionnelle et JAP
L’audience correctionnelle est extrêmement difficile pour tout le monde, y compris pour le prévenu. Cette fois-ci, plus de « festif » : il y a eu un mort. La mort, c’est du réel. Il est condamné à une peine mixte (prison et sursis probatoire) avec mandat de dépôt, il est donc incarcéré. Suit une audience JAP qui lui retire la mesure de DDSE : il est incarcéré également par cette décision.
Il demande un aménagement de peine : audience JAP
Ayant exécuté une bonne partie de sa peine, il demande un aménagement. Vu son dossier, le JAP aborde le dossier avec certaines réserves. Mais de l’audience, il ressort que le SPIP ainsi que l’administration pénitentiaire témoignent de son comportement positif. Aucun souci de suivi, il a même pu obtenir un poste d’auxiliaire, qui reste, en prison, un poste de confiance. Le condamné suit en outre des soins psychologiques et addictologiques et participe à toutes les activités socio-culturelles que propose le centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand (actif en la matière).
Il indemnise les victimes de lui-même
Enfin, et pour le JAP c’est significatif, il indemnise les victimes de lui-même, c’est-à -dire au-delà des petits prélèvements auxquels procède l’administration pénitentiaire sur toutes les sommes qu’un détenu peut percevoir. Celui-ci verse environ 70 euros par mois sur ce qu’il gagne (maxi 300 euros par mois), alors qu’il n’a aucun soutien financier de sa famille. De plus, il a eu une permission de sortie pour travailler à son projet de vie : le test à son retour au centre pénitentiaire est bon. Alcoolémie à zéro.
Il se méfie de lui-même et il demande au JAP un cadre contraignant
Ce test compte car l’homme est devenu conscient que ses promesses de ne plus boire furent des promesses d’alcoolique. Désormais il se méfie de lui-même et il demande au JAP un cadre contraignant. Il veut changer de région, a trouvé une structure pour consolider son sevrage. Quant à sa vie professionnelle, il est par chance qualifié et spécialisé dans un secteur où l’on trouve toujours à travailler.
Le choc carcéral
Le JAP se dit que le choc carcéral est peut-être venu trop tard dans le parcours de cet homme-là. Au centre de détention celui-ci s’était retrouvé avec des personnes condamnées pour trafic de stupéfiants, meurtres, etc. : il ne pouvait pas s’identifier à elles. Il est allé intelligemment investir et se nourrir de tout ce qu’il pouvait (les soins, les activités, le travail).
Semi-liberté
Compte-tenu de tout ça, le JAP estime que le choc du décès puis le choc carcéral ont mis le condamné au travail, lui ont fait affronter les réalités. L’homme obtient un aménagement de peine, en semi-liberté, dans une autre région.
Florence Saint-Arroman
Tous les cas présentés sont inspirés de cas réels, mais ils sont parfaitement anonymisés : ce sont des cas appliqués à montrer de façon vivante la diversité des parcours que les JAP et les CPIP rencontrent quotidiennement.
Articles précédents :
(1) https://www.creusot-infos.com/news/bourgogne-franche-comte/bourgogne-franche-comte/l-application-des-peines-1-dans-les-coulisses-des-sursis-probatoires-ou-des-detentions-a-domicile.html
(2) https://montceau-news.com/faits_divers/740373-justice-lapplication-des-peines-2.html
(3) https://www.autun-infos.com/news/bourgogne-franche-comte/bourgogne-franche-comte/l-application-des-peines-3-le-pari-reussi-d-un-sursis-probatoire-renforce.html
A suivre : (5) Un parcours JAP complet mais une fin tragique
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