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TRIBUNAL DE CHALON - A Louhans, se croyant menacé, il sort son couteau... face à un gendarme en repos provocateur

TRIBUNAL DE CHALON - A Louhans, se croyant menacé, il sort son couteau... face à un gendarme en repos provocateur

« Compte-tenu des conditions particulières de commissions de l’infraction… » Il n’y avait qu’un seul dossier, ce 15 février à l’audience des comparutions immédiates, et l’audience se clôt par ces mots. Quel est donc ce contexte si particulier ?

L’audience s’annonçait « classique » : un tout jeune homme au casier jonché d’actes violents est jugé pour avoir, à Louhans, le 14 décembre dernier, sorti un couteau avec une bonne lame, pour intimider un homme. L’homme se trouve être un gendarme, au repos ce jour-là. Le prévenu est en détention provisoire depuis le 16 décembre, il a vu un expert psychiatre. Bon, on se dit que c’est plié parce qu’à force d’assister aux audiences on est de moins en moins surpris… et là : surprise !

Les faits

Le jeune homme est arrivé il y a peu sur la commune de Louhans. Il est frappé d’une interdiction de paraître à Marseille et sa mère a décidé de s’installer ailleurs, avec lui. Or à Louhans il est inquiété alors qu’il se promène avec sa copine. Il a peur, il s’arme d’un couteau. Le 14 décembre, il est à l’hôtel avec elle et descend en début de soirée pour acheter du Coca. Au même moment, des gendarmes en patrouille, dans une voiture banalisée, remarquent le véhicule d’un collègue du PSIG, puis ils aperçoivent un autre collègue, un peu plus loin, avec un jeune qui semble énervé. Du coup, les gendarmes s’attardent et observent. Aucun coup n’est porté mais tout à coup le jeune sort un couteau… les gendarmes bondissent hors de leur véhicule, armes au poing.

Le récit selon le prévenu

Le gendarme-victime au dossier ne se constitue pas partie civile et n’est pas présent à l’audience. Il a toutefois honnêtement reconnu n’avoir pas décliné sa qualité de gendarme auprès du jeune homme. Ce dernier évoque à plusieurs reprises sa « peur ». « J’ai grandi dans un environnement très violent, il y a peur qui s’installe. » Ce point est important, car voyant l’homme sur le trottoir d’en face, il se dit que c’est peut-être l’un de ceux qui l’ont agressé il y a peu… « J’étais sur mes gardes. » 
« Quand nos regards se sont croisés, il était sur le point de monter dans la voiture de son collègue. Quand il m’a demandé pourquoi je le regardais, je lui ai dit que je l’avais confondu avec quelqu’un. Il m’a dit que s’il y a un problème, on pouvait en découdre. Il était insistant. Il a même traversé la rue pour me demander si je voulais en découdre. Je voyais qu’il était front-front avec moi et que le dialogue ne suffisait pas. J’ai pris un sentiment de peur, j’ai géré comme j’ai pu. »

« Sauf que c’est lui qui m’a touché physiquement »

Il reprend : « On était front-front. Il me disait de frapper en premier. Il me disait ‘casse-toi !’. Quand j’ai voulu partir il m’a fait une poussette (orthographe incertaine, désigne le fait de pousser mais pas fort) à l’épaule. J’ai eu peur. J’ai sorti le couteau mais lame vers le bas en même temps qu’il me poussait. Il a mis la main dans sa banane et a sorti son arme. Les autres (gendarmes, ndla) sont arrivés, j’ai cru à un guet-apens. »
Le gendarme-victime a déclaré : « J’ai mis ma main sur lui et je lui ai dit ‘Fais attention à ce que tu dis’. »
Le prévenu à l’audience : « Sauf que c’est lui qui m’a touché physiquement, je me suis senti agressé et j’ai sorti le couteau. »

« Oui, de travailler sur cette peur, oui, oui »

La présidente Milvia Barbut interroge le jeune homme sur le port de cette arme, dont il n’avait sans doute pas besoin pour aller acheter une boisson. Le garçon répète à quel point il connaît la violence, subie et exercée, et de cette peur qui l’habite. 
« Vous avez eu l’honnêteté de dire que vous avez besoin de soins. – Oui, de travailler sur cette peur, oui, oui. » Il a fait une demande en détention, mais beaucoup de détenus et des listes d’attente… Il est remarquable, d’ailleurs, et c’est un point en sa faveur : si l’institution judiciaire focalise, et c’est normal, sur sa violence ou son rapport à la violence, lui, il parle de la peur. 
Un caïd ne parle pas de sa peur, un caïd c’est un animal dominant. Ce garçon ne joue pas au caïd. Il vient d’avoir 20 ans et voudrait « travailler, fonder une famille, profiter de la vie, je ne veux pas passer ma vie en détention ».

Tabassé en prison, à coups d’orange gelée introduite dans une chaussette

Mais il n’en sort pas, de la violence. Il est entré dans le box en donnant à voir un visage bien marqué : il s’est fait agresser dans la cour de promenade du centre pénitentiaire. On l’a dérouillé à coups de chaussette, lestée d’une orange gelée. La présidente Barbut s’arrête sur les rapports d’incidents en détention qui lui ont été transmis. « Tous ces incidents, c’est pas moi la cause. Je fais tout pour éviter les histoires. »

Parler de sa peur articulée à la violence

Si c’est vrai – et il a su être convaincant car parler de sa peur articulée à la violence, ça ne s’invente pas, ce n’est pas fait pour tenter de manipuler les juges -, ça ne l’a pas toujours été, car son casier comporte beaucoup de condamnations dont « neuf pour violences » rappellera le procureur. Le prévenu a connu la détention à Marseille. Autant dire qu’à 20 ans, il en connaît en effet un rayon sur la loi du plus fort.

Au centre pénitentiaire, des pressions sur lui et sur sa copine 

Ici, à Varennes-le-Grand, il dit qu’on veut le forcer à faire « entrer des choses » dans la prison, en se servant de sa copine qui vient le voir au parloir, « et qui a elle aussi subi des pressions en en sortant » insiste maître Bouflija. 
« Je ne veux pas céder à des violences psychologiques, sinon tout mon travail est mis à mal » dit le prévenu… Son œil gauche est cerné d’un noir profond… une orange gelée glissée dans une chaussette qui donne une force inouïe au projectile… 
Le jeune homme a écrit une lettre à destination de la victime, « une lettre où je m’excuse. J’y reconnais que mon acte n’est pas anodin, que moi-même j’ai été victime d’agressions, et que je comprends ce que ça fait. » Le gendarme au repos a eu 3 jours d’ITT, pour anxiété, stress, insomnie. Aucune trace de coups et pour cause, il n’y en a pas eu.

Le parquet 

« Les faits ne sont pas anodins, commence par dire monsieur Marey, substitut du procureur. Mais des choses me dérangent et je ne vais pas les taire. » Ce qui dérange le parquet : le gendarme au repos n’annonce pas sa qualité, c’est lui qui revient au contact du jeune et qui lui met la main sur le torse, et la compagne du prévenu, présente, n’a pas été entendue. « Son comportement (au gendarme en question) aurait pu être plus correct. Cela dit, ça ne justifie en rien les faits que monsieur (le prévenu) a reconnus. »
Le magistrat requiert une peine de 24 mois de prison dont 12 mois seraient assortis d’un sursis probatoire de 2 ans, avec maintien en détention pour la partie ferme.

La défense

« Le comportement de monsieur X m’a profondément choquée, je salue le regard critique de monsieur le procureur. Les forces de l’ordre ont un rôle central dans notre société, ses membres ont des droits importants et on attend d’eux un comportement exemplaire. S’il n’y avait pas eu de provocation, il (le prévenu) ne serait pas là aujourd’hui. Je déplore que monsieur X ne soit pas présent. »

Le prévenu voudrait retourner la carte, faire mentir le (mauvais) sort

Maître Sarah Bouflija plaide donc d’abord ce contexte, ces « circonstances particulières » comme dira le tribunal. Pour autant elle ne demande pas que son client soit relaxé, non. Elle demande une sanction qui prenne en compte ce contexte, et aussi le profil de ce jeune homme qui finalement a tout contre lui à ce stade mais qui a déjà fait preuve de sa volonté d’orienter ce qui pourrait ressembler à un destin, dans un sens qui lui soit enfin favorable. Il s’était inscrit à la mission locale, il a arrêté le cannabis (des analyses sanguines en font foi, d’après le prévenu), il s’est inscrit en intérim.

Un niveau de langage qu’on voit rarement…

Ce qui détonne franchement chez ce garçon, c’est d’abord sa facilité d’expression, il parle très bien, avec des expressions parfois de la rue et de la prison (« front-front ») mais il s’exprime avec aisance et un niveau de langage qu’on voit rarement chez des jeunes qui interrompent leurs scolarités prématurément. 
L’expert psychiatre l’a souligné : il a des capacités intellectuelles. Il a aussi des troubles, des déséquilibres, enracinés dans un mode de vie défavorable à tout équilibre, qui se sont aggravés à l’adolescence avec des passages à l’acte et la fréquentation active de milieux parmi les pires.

Les contingences des rencontres possibles

Si le médecin est ferme sur l’absence de psychose chez ce jeune homme, il parle néanmoins de « traitement régulateur de l’humeur » associé à un travail de psychothérapie. On se dit que ça sera affaire de rencontre : un bon psy et le garçon a ses chances. Un forcené de la prescription qui donne la paix, et le garçon perd des chances (pas toutes : à lui d’aller voir ailleurs).

Maître Bouflija plaide en faveur d’une détention à domicile sous bracelet électronique puisque le prévenu a un logement désormais, grâce à sa petite amie (les femmes, décidément, même bien jeunes, sont capables de tout, ndla). La décision du tribunal va au-delà de ces vœux.

Décision

Le tribunal dit le prévenu coupable de ce qu’on lui reproche (à savoir des violences avec menace d’une arme ainsi que le port de l’arme en question), et le condamne à la peine de 12 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans avec obligations de soins « a minima psychologiques » et de travailler ou de se former. Interdiction de porter une arme pendant 5 ans.

« Compte-tenu des conditions particulières de commission de l’infraction, vous repartez au centre pénitentiaire pour la levée d’écrou et vous serez libre ce soir. »

FSA