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Carnaval et cold cases dans « La théorie des ondes », un polar à Chalon-sur-Saône

Carnaval et cold cases dans « La théorie des ondes », un polar à Chalon-sur-Saône

La Saône charrie des alluvions et parfois des cadavres. Pascale Chouffot, scénariste et écrivain, s’est saisie de ce fait et du sujet des cold cases qui font aussi, hélas, la célébrité du département, pour visiter le tout, dans toutes ses dimensions. Elle sera à Chalon le 4 avril.

On attaque en février 2013 : les berges de la rivière recrachent un corps, celui d’une ado qui a disparu alors qu’elle était dans les rues du Carnaval. Ce dossier en rejoint d’autres, antérieurs, d’affaires non résolues. On rencontre maître Pierson, un avocat qui s’offre les services d’une enquêtrice, ex-policière à la ferroviaire. Une femme devenue insensible à la douleur, en proie à « la lancinante souffrance de ne pas pouvoir souffrir » - paradoxe réel mais un poil provoc’ puisque l’enquêtrice va à la rencontre des familles des jeunes filles tuées puis lancées dans la Saône, elles aussi, et dont le ou les meurtriers n’ont pas été confondus.

On croise forcément le commissaire de police et ses adjoints, dans leurs quotidiens comme dans leurs rapports au métier, à ce qui les endurcit comme à ce qui les touche encore (entre autres : d’avoir échoué à mettre la main sur le s.l..d qui ôte des vies). On lit des procès-verbaux d’audition, on part en centrale faire un parloir avec le petit ami de l’une d’elles, condamné pour son meurtre alors qu’il est visiblement innocent. On arpente les rues de Chalon avec la police, à la recherche d’un témoin. Bref, on s’installe petit à petit dans ce monde, le monde policier et judiciaire, quand, à mi-récit, le texte vous explose à la figure.

C’est que la théorie des ondes qui fait le titre de l’ouvrage et le lit des procès d’Assises ou devant une Cour criminelle, part du principe suivant : dans les vies humaines comme en science physique, un fait peut provoquer des ébranlements qui vont se répercuter ailleurs, ces effets devenant à leur tour, causes d’autres conséquences. On veut savoir « pourquoi », pourquoi ce crime ? Alors on cherche, on interroge le passé, l’enfance, tout.

De Kodak aux colonies d’enfants dans le Morvan

C’est ainsi que Pascale Chouffot remonte de 2013 à 2007, « journée d’implosion » à Chalon-sur-Saône, implosion de l’usine Kodak, « leur » usine, qui mit en retraite anticipée ou au chômage nombre de salariés - « plus de 90 % du personnel » - contraignant chacun à répondre à la déflagration à sa manière, à sa façon, comme il le pouvait, selon ses moyens.

De 2007, on part visiter 1911 et la réalité d’instituts privés pour enfants placés, instituts créés pour pallier la carence des instituts publics. « Ils ne restaient pas longtemps dans les foyers de l’Assistance publique de Paris. (…) Vomis depuis des péniches sur les quais de Chalon (…) Ils devenaient alors les lots de chair humaine et de force de travail gratuite d’une enchère où se pressaient fermiers, notables… »

Outre des descriptions épouvantablement réalistes du quotidien de ces petits arrachés à leur enfance, à leurs dignités et à tout respect de leurs personnes, apparaissent des généalogies. L’arrière-petit-fils du couple d’Ogres, criblé par une culpabilité qui le ravage, fait pendant à celui qui, issu d’un homme lui-même fruit du viol de Marcelle, alors esclave d’un institut pour filles, incarne la 3ème génération d’abandons successifs.

Qui, parmi ces hommes, est « Nounours » ? - sobriquet insupportable quand tout prend racine dans des enfances martyres et dans des morts violentes encore à l’âge de l’enfance. Qui, de la bourgeoise confite ou de la mère passée au rasoir de toutes les violences et du découragement social, s’anesthésiant au mauvais whisky à sa table de Montceau-les-Mines, va réagir ?

Plusieurs pistes, deux enquêtes – celle de la police judiciaire et celle de l’enquêtrice privée. On ne lâchera pas le bouquin avant le bouquet final, au dernier jour du Carnaval, lors de la réception de la confrérie des Gôniots, place Marcel Sembat. 
L’auteur tresse les époques, les faits incidents, les portraits, les quotidiens et les fractures que provoque tout crime, mais on s’y retrouve toujours grâce au découpage des chapitres courts et datés.

« La théorie des ondes » est un solide roman, vif et bien écrit, agréable à lire. On le referme sur une assertion grosse d’interrogations et de questions : « la naissance d’un drame est indubitablement question d’ignorance. » Quelle sorte d’ignorance ?

Florence Saint-Arroman

Pascale Chouffot sera à la Mandragore le jeudi 4 avril pour un moment d’échanges avec ses lecteurs. L’inscription est conseillée, au 03 85 48 74 27. La théorie des ondes, éditions du Rouergue.

● Sur le musée des enfants de l’assistance publique et des nourrices, à Alligny-en-Morvan :
https://www.youtube.com/watch?v=lzplrdyWnq0