Chalon sur Saône
TRIBUNAL DE CHALON - La reconstitution du procès Emiland Menand a fait le plein
Publié le 15 Septembre 2018 à 22h55
Il a 50 ans, il est marié (en secondes noces) et vit à quelques galops de cheval de la bonne ville de Chalon. Emiland Menand se tient devant la Cour des Pairs, ce 8 janvier 1836. Cet avocat est prévenu de « complicité d’atteinte à la sûreté de l’Etat », pas moins. L’homme est aussi président des comités locaux des droits de l’homme, et délégué de l’association pour la liberté de la presse, et c’est à ces titres que le président l’interroge : qu’en est-il de sa participation à la « tentative d’insurrection » survenue à Chalon-sur-Saône le 11 avril 1834 ?
Le tocsin avait sonné sur Chalon
Souvenez-vous : le 9 avril 1834 les soyeux de Lyon, les canuts, se soulèvent par milliers. A Chalon une compagnie de dragons se prépare à rejoindre la troupe à Lyon, en renfort, on est le 11 avril, mais le départ de la compagnie est retardé car « des individus » ont monté une barricade en soutien aux émeutiers lyonnais pour empêcher le passage des militaires. « On a vu des individus sortant de la maison où se réunissait le comité des droits de l’homme, le tocsin avait sonné dans les deux églises, un militaire fut molesté et blessé » résume le président.
« Vous avez des idées républicaines, vous le reconnaissez ? – Oui ! »
Les faits sont gravissimes mais l’accusé se tient droit et fier. A la question, « vous avez des idées républicaines, vous le reconnaissez ? », il répond : « Si c’est rallumer la flamme de l’esprit des Lumières et de la révolution française, oui ! » Il était à Paris les jours précédents les faits, pourquoi ? L’avocat soutient qu’il n’a fait qu’assister à une réunion de l’association pour la liberté de la presse, et qu’ils y ont mené « l’activité banale d’une association », puis il évoque aussi ses sorties avec son épouse, et s’agrège une partie du public par cette saillie : « nul besoin de grands magasins à Paris pour faire le bonheur des dames, croyez-moi ! »
Des témoins à charge, et à décharge
Des témoins se succèdent à la barre. Le capitaine P. raconte d’une façon toute militaire, sobre et factuelle, l’épisode au cours duquel il fut blessé et put craindre d’être jeté à la Saône. La veuve N., cabaretière à Saint-Cosme et haute en couleurs assure que « les gens disaient ‘C’est Menand ! c’est Menand ! », mais voici que monsieur P., propriétaire de profession et ami intime de l’accusé, assure qu’Emiland Menand s’est arrêté chez lui sur le retour de Paris et ignorait alors tout des événements à Lyon, voici qu’enfin un des membres du conseil municipal affirme à la Cour des Pairs que le présumé terroriste n’est arrivé à Chalon « qu’après que la barricade ait été démontée, et qu’il a tout fait pour que le calme revienne à Chalon- sur-Saône ».
« Un révolutionnaire dans l’âme, un réformiste de conviction »
Le procureur du roi nappe tous ces détails qui donnent du contraste à la situation, d’une lourde étoffe brodée de fleurs de lys : « Le sieur Menand est un révolutionnaire dans l’âme, un réformiste de conviction. Il a exulté après les Trois glorieuses ! Il veut abattre ce régime chargé d’espérance. » Le procureur a la voix douce mais ses mots sont de bois : « Louis-Philippe d’Orléans aime son peuple, et prend en considération la misère populaire. » L’étoffe, tissée par des canuts, frémit d’indignation, on croit le ressentir, mais les fleurs de Lys l’étouffent de leurs riches broderies.
« Le sieur Menand est un meneur, un fomentateur »
Pour le procureur, l’affaire est pliée : « Il est allé prendre des ordres à Paris, et préparer les moyens de résistance à la loi des associations fraîchement votée. Il a promu la guerre civile, son nom est connu et ses actions contre le pouvoir royal aussi, alors il a apaisé publiquement pourquoi ? Pour sauver sa peau. Le sieur Menand est un meneur, un fomentateur, un régicide en puissance, vous devez le condamner aux peines portées par la loi. » Emiland Menand tient la barre de ses bras écartés, il courbe la tête mais pour mieux se concentrer. Il avait écarté d’un revers la charge des « dix cartouches de fusil » retrouvées chez lui, « ce n’est pas avec dix cartouches que l’on mène une révolte ».
« La République est le sens de l’histoire » tonne l’avocat !
Son avocat dénonce le vide du dossier : les perquisitions n’ont rien donné, l’enquête non plus. « La cabaretière dit qu’il appelait à la bagarre ? Allons ! Il voulait éviter un bain de sang. » La défense décrit les scènes épouvantables de répression sans quartier, sans égard pour ces pauvres gens dont les corps sans vie gisaient là, en attendant une sépulture. Il plaide les racines bourguignonnes d’Emiland Menand, son serment d’avocat, les couleurs de la République, dans le respect « de la liberté, de l’égalité, de la fraternité. « La République est le sens de l’histoire, tonne l’avocat, et cela Emiland Menand l’a compris, avec ses idées d’humanisme et de générosité. »
Le public déclare Emiland Menand innocent
Maître Fabre (maître Guignard) conclut, tourné vers le public : « Ce citoyen chalonnais marquera cette ville. Peut-être un jour aurez-vous l’honneur de donner son nom à une de vos rues. » La Cour des pairs se retire pour délibérer, le public en fait autant et déclare Menand innocent des termes de la prévention, à 70 voix contre 10.
« On ne juge pas au 21ème siècle comme on jugeait au 19ème , et, considérant l’absence de charges, Emiland Menand est acquitté (applaudissements de la salle), le tribunal annule les dix ans de détention (la peine qui fut prononcée lors du jugement par contumace en 1836, ndla) et le réhabilite. »
Florence Saint-Arroman
On peut lire la présentation de cette reconstitution orchestrée par maître Hopgood et soutenue par les services du patrimoine de la Ville ainsi que l’association Rondes de nuit ici : http://www.info-chalon.com/articles/faits-divers/2018/08/29/39080/tribunal-de-chalon-un-proces-politique-de-haute-tenue/
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