Cinéma

En ce moment à l’Axel de Chalon : Une rencontre, de Lisa Azuelos

En ce moment à l’Axel de Chalon : Une rencontre, de Lisa Azuelos

A l’affiche depuis quelques semaines, le dernier film de Lisa Azuelos, Une rencontre [1], est actuellement programmé à l’Axel. Le sentiment d’Info-Chalon.

« L’avènement d’une classe culturelle éduquée et nombreuse a créé les conditions objectives d’une fragmentation de la société et provoqué la diffusion d’une sensibilité inégalitaire d’un genre nouveau. Pour la première fois, les ‘‘éduqués supérieurs’’ peuvent vivre entre eux, produire et consommer leur propre culture. Autrefois, écrivains et producteurs d’idéologie devaient s’adresser à la population dans son ensemble, simplement alphabétisée, ou se contenter de parler seuls. L’émergence de millions de consommateurs culturels de niveau supérieur autorise un processus d’involution. Le monde dit supérieur peut se refermer sur lui-même, vivre en vase clos et développer, sans s’en rendre compte, une attitude de distance et de mépris vis-à-vis des masses, du peuple, et du populisme qui naît en réaction à ce mépris. A l’échelle d’une classe se produit un phénomène de narcissisation qui mène à une culture d’ordre inférieur parce qu’elle se désintéresse de l’homme en général pour ne plus refléter que les préoccupations d’un groupe social particulier. Le roman, le cinéma sombrent dans les petits soucis des éduqués supérieurs, dans un nombrilisme culturel qui se pense très civilisé mais s’éloigne des problèmes de la société et donc de l’homme ». Si on a lu Après la démocratie, ces lignes d’Emmanuel Todd [2] reviennent assez naturellement en tête lorsque l’on visionne Une rencontre, de Lisa Azuelos. En effet, mettant en scène un certain type de personnages, aux prises avec un certain type de problèmes, que d’aucuns jugeront ridicules ou sans grand intérêt, on est d’une certaine façon au cœur de même de ce que dénonçait Todd dans son essai controversé de 2008. Devant un de ces innombrables films qui, à l’instar de la clique à Klapich dans Casse-tête chinois [3], de l’imbuvable série du Cœur des hommes de Marc Esposito ou encore des Petits mouchoirs de Guillaume Canet, nous inflige les tourments et petites angoisses d’un monde qui n’intéresse jamais qu’un nombre limité d’afficionados : celui que le sociologue Jean-Pierre Garnier appelle le monde de la petite bourgeoisie intellectuelle [4], pour ne pas succomber à la facilité de parler de « boboland ». Ceci étant, faut-il absolument éviter de voir ce film ?

Parlons net : Une rencontre n’est pas, loin s’en faut, le film du siècle. Et François Cluzet en avocat quinquagénaire tombeur d’une Sophie Marceau rayonnante, c’est aussi crédible que Gainsbourg à l’Elysée ou Yamina Benguigui secrétaire d’Etat à la francophonie.

Pour autant, Une rencontre, relativement court pour un long-métrage (1 h 21) n’est pas irregardable. A vrai dire, on suit assez facilement l’histoire de cet homme marié depuis quinze ans (François Cluzet), fidèle à son épouse, père aimant, mais inexorablement attiré par une femme écrivain à succès (Sophie Marceau) en train de divorcer, sensuelle et envoûtante, que l’on devine un temps rongée par le remord d’en pincer pour un homme… marié. Par ailleurs, le montage des images, relativement innovant et faisant écho à certains « codes » de la culture Internet, ne laissera pas de marbre le cinéphile. Bref, on a vu pire. Bien pire. On ne citera toutefois pas de nom par charité.

Ceci posé, comment ne pas regretter que ce qui fait office de fil rouge du film – l’idée, empruntée à ce que l’on pourrait appeler une philosophie de la mécanique quantique, selon laquelle chacun d’entre nous se trouve en réalité au cœur de mondes parallèles, susceptibles d’évolutions contrastées, pour ne pas dire contradictoires ou antinomiques – n’ait pas été plus creusé ? En effet, on avait sans doute là un vrai sujet, dont Une rencontre ne parvient malheureusement pas à s’emparer. Or c’est bien dommage car la (déprimante) morale du film – la meilleure façon qu’une histoire ne s’achève pas, c’est de ne pas la commencer –, sorte de contrepied de celle du comte de Rochester – « toute expérience digne de ce nom ne se fait jamais qu’à ses propres dépens » –, aurait eu autrement plus de gueule.

Bref, à voir…ou pas.

S.P.A.B.

[1] 2014. Durée : 1 h 21

Bande-annonce :

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19543660&cfilm=213893.html

[2] Emmanuel Todd, Après la démocratie, Gallimard, 2008, pp 83-84

[3] Voir l’article d’Info-Chalon :

http://www.info-chalon.com/articles/cinema/2013/12/22/3950--casse-tete-chinois-une-prise-de-tete-d-1h54-.html

[4] Jean-Pierre Garnier, Une violence éminemment contemporaine. Essai sur la ville, la petite bourgeoisie intellectuelle et l’effacement des classes populaires, Agone, coll. « Contre-feux », 2010, 256 p.