Cinéma

CINEMA A CHALON - Maps to the stars - La galaxie Cronenberg est à découvrir à l'Axel en ce moment

CINEMA A CHALON - Maps to the stars - La galaxie Cronenberg est à découvrir à l'Axel en ce moment

Réalisateur de nombreux chefs-d’œuvre du 7ème art, David Cronenberg est de retour avec Maps to the stars [1], en ce moment à l’Axel. Le sentiment d’Info-Chalon.

Un réalisateur qui a scandalisé la Croisette en 1996

Connaissez-vous David Cronenberg ? Il s’agit de ce réalisateur par lequel le scandale est déjà arrivé. C’était en 1996, à Cannes, quand il arriva sur la croisette avec Crash [2] dans sa besace. La projection en avant-première avait alors profondément clivé le jury, à l’époque présidé par un Francis Ford Coppola qui n’avait fait aucun effort pour cacher l’antipathie que lui inspirait ce long-métrage. Ceci étant, bien que clivant, Crash avait néanmoins obtenu le « Prix très spécial du jury », pour « son audace et son originalité ». Il faut dire que, audacieux et original, le film l’était assurément. Notamment par l’une des idées qu’il tendait à rendre consciente à l’esprit du spectateur, à savoir que « la sexualité [n’ayant de nos jours] plus d’objet » et « [étant] désormais déconnectée de toute forme de reproduction », cette dernière « [pouvait] donc, potentiellement, aller dans toutes les directions » [3]. Par exemple celle conduisant à rechercher la jouissance dans l’autodestruction physique, étant entendu que, le sexe n’étant plus forcément relié à un acte de reproduction – vital –, celui-ci ne s’opposait plus forcément à la mort.

Hollywood, vu par Hollywood ?

En 2014, dix huit ans plus tard, Cronenberg est-il toujours ce réalisateur par lequel le scandale arrive ? Le film qu’il a présenté cette année à Cannes a-t-il de nouveau clivé le jury ? Peut-on parler de bis repetita ? A vrai dire, pas vraiment. En effet, Maps to the stars, son petit dernier, a cette fois-ci été plutôt bien accueilli. Tant par l’aréopage cannois que par la critique.

A juste titre ? Pour la plupart de ceux qui en parlent, Maps to the stars –  qu’on peut traduire par « cartographie des étoiles », référence aux cartes vendues aux touristes de Los Angeles avides de voir les villas des étoiles du cinéma –, c’est, d’une certaine façon, « Hollywood, vu par Hollywood » [4]. Et, à ce titre, le voir est instructif, même s’il n’y a rien de nouveau sous le soleil de la roche-mère, où Cronenberg n’a d’ailleurs jamais travaillé [5].

Ceci posé, et si l’on s’en tenait à cela, rien de bien réjouissant tout de même… Fort heureusement, avec Maps to the stars, il ne s’agit pas seulement de payer pour contempler un marigot où grouillent et s’écharpent une pyromane partiellement brûlée sortant d’un asile psychiatrique, « un chauffeur de limousine qui ne rêve qu’au vedettariat, un gourou à succès qui prêche l’attitude zen » [5], une actrice vieillissante assoiffée de reconnaissance, un gamin de 13 ans fraichement sorti d’une cure de désintoxication, que couve une mère dépressive. En effet, avec ce long-métrage, on passe un véritable moment de cinéma.

Une radioscopie de nos sociétés occidentales

Pour quelles raisons ? Parce qu’il rend visible aux spectateurs un certain nombre de choses qui ne le sont pas de prime abord, qualité essentielle de tout objet éminemment artistique. C'est-à-dire ? En déclarant, à propos d’Hollywood, qu’on se trouve placé devant « la comédie humaine, en concentré » [4], Cronenberg a sans doute un peu vendu la mèche. Aussi, et contrairement à ce que d’aucuns pensent, son film doit-il être considéré comme toute autre chose qu’une énième tentative du cinéma de se moquer de lui-même, ainsi qu’il le fait depuis 1910 [4] : c’est à une radioscopie de nos sociétés occidentales que se livre Cronenberg avec Maps to the stars.

Cela étant, et si c’est bien de cela qu’il s’agit, qu’a-t-il cherché à montrer aux spectateurs ? Dans une interview, qu’il avait donnée aux Inrockuptibles [3] au moment de la sortie de Crash, Cronenberg, profitant d’une question pour une fois bien sentie, avait lâché cette réflexion, qui mérite sans doute méditation : « le seul sens que nous puissions donner au monde vient de nous : une pensée intolérable pour ceux qui tentent de mettre un absolu au-dessus de nous ». Il affirmait ainsi son athéisme, sans pour autant en déduire quoi que ce soit. Et certainement pas une pensée relativement pessimiste, pour ne pas dire sinistre. Une pensée dont on peut avoir peur. Et que l’on peut donc assez « naturellement » être tenté de refouler.

Un film sur l’Angoisse

Après, que Cronenberg ait consciemment ou non repoussé une telle pensée à l’époque, peu importe à vrai dire. En effet, 18 ans plus tard, il la prend à bras le corps, ceci pour nous montrer que loin de mener au bien-être, l’émergence d’un monde sans Dieu - celui dans lequel « évoluent » les personnages du film – conduit à l’anxiété, au sentiment d’un manque. En quelques mots : au règne de l’Angoisse. Une Angoisse que l’on voit se déchaîner jusqu’à la folie au sein de ces troublants intérieurs au design zen où vivent les protagonistes de Maps to the stars et qui, précisément, constituent un perturbant contrepoint à l’agitation les animant. Un curieux décor dans lequel se réalisent incestes, consanguinité, parricide symbolique. Au passage, Cronenberg nous aura également montré ce qu’il a néanmoins la délicatesse de ne pas asséner, à savoir que « l’abandon de la foi émancipe certes l’homme d’un ramassis de mythes indémontrables, mais le fait atterrir dans le non-sens de sa propre vie » [6]. Pensée que le spectateur demeure toutefois  libre, une fois le film vu, de faire sienne...ou non.

Dans tous les cas, Maps to the stars est bien autre chose qu’ « Hollywood, vu par Hollywood ». C’est, à nouveau, un film de type scandaleux, qu’Info-Chalon ne saurait trop vous recommander de voir le plus rapidement possible.

S.P.A.B.

 

[1] 2014. Durée : 1 h 51.

Bande-annonce :

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19544700&cfilm=215447.html

[2] 1996. Durée : 1 h 40. Dans Crash, un réalisateur de clips de prévention routière decouvre à la suite d’un accident de voiture une sorte de communauté dirigée par un homme obsédé par les accidents célèbres – un certain Vaughan –, et dédiée à la recherche de la jouissance par l’énergie sexuelle que génèrent les crashs automobiles. Il entraîne avec lui son épouse dans une quête de sensations extrêmes.

Bande-annonce : http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19414521&cfilm=15119.html

[3] « Entretien avec David Cronenberg », Les Inrockuptibles, 17.07.1996 ; http://www.lesinrocks.com/1996/07/17/cinema/actualite-cinema/entretien-david-cronenberg-crash-0796-11233431/

[4] François Forestier, Ciné Télé Obs, 24.05.2014, p 4 – 5

[5] Martine Noratz, Ciné Télé Obs, 24.05.2014, p 18

[6] Emmanuel Todd, Après la démocratie, Gallimard, 2008, p 34