Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON : « Vous excluez systématiquement de vos réquisitions la dimension humaine ! »

TRIBUNAL DE CHALON  : « Vous excluez systématiquement de vos réquisitions la dimension humaine ! »

Le 27 septembre dernier, C., 34 ans, roulait en campagne sur son cyclomoteur. Ce mercredi-là, il était en RTT, lui le salarié consciencieux qui rabote le bois dans une scierie depuis 14 ans. Il avait fait du bois pour un ami, et rentrait dormir chez ses parents, chez lui, mais il s’est endormi. Le scooter a mordu l’accotement, s’est couché sur le bas-côté. Lui, il a versé dans le fossé, les pompiers l’ont récupéré, il dormait toujours.

Les gendarmes ont trouvé son sac à dos duquel s’étaient échappées des bières et du rosé. C., ce jour-là, avait une alcoolémie de 2.64 g. « Vous buvez tous les jours ? – Je ne bois pas quand je travaille. » Nous sommes aux limites nord-est du ressort de la juridiction, et transportés dans une famille de trois enfants dont deux sont schizophrènes. La sœur de C. est internée, son frère est resté à la maison, et c’est l’enfer pour C. 

A son casier judiciaire, 4 condamnations, 4 conduites sous l’empire de l’alcool, en 2005, 2007, 2008 et 2016. En 2016 il est condamné à 6 mois de prison dont 3 mois assortis d’un sursis mis à l’épreuve de 3 ans, cela signifie qu’il a des obligations. Il est donc suivi par un CPIP, et se rend au KAIRN pour des soins : « Vous faites quoi avec le médecin ? - Il m’a demandé mes prises de sang, mes fiches de paie, c’est tout.  - Qu’est-ce qu’il faut faire pour que vous arrêtiez de boire ? - Une opération. - Ah si c’était possible, il y en aurait beaucoup, mais ça n’est pas possible. - Il veut dire « hospitalisation », intervient maître de Boosere-Lepidi, descendu de Versailles pour assister C., et le défendre. Dans le rapport que la CPIP a transmis au JAP : « Suivi long à mettre en place, il a du mal à comprendre ce qu’on attend de lui. 

Il a comparu une 1ere fois le 19 octobre dernier, mais il a demandé un délai pour préparer sa défense et depuis il est en détention provisoire. De loin, c’est un homme au visage équilibré, de jolis traits, l’air mûr, mais aussi l’air souffrant et en grande difficulté. Ses parents, qui sont dans la salle, tendus par le souci (« il n’est pas bien », chuchote sa mère lorsque son fils arrive dans le box), ont écrit au tribunal pour attester que C. est « un gentil garçon, travailleur, honnête », mais qui « a des problèmes familiaux », et les parents n’en peuvent mais. Une des juges assesseurs pose la question qui s’impose depuis l’instant où C. a ouvert la bouche : « Monsieur, il n’y a aucune mesure de protection vous concernant ? », C. répond « non », son avocat précise « il n’est pas sûr qu’il comprenne ».

C’est dans ce contexte qu’Aline Saenz-Cobo, substitut du procureur, va requérir : « J’ai lu le courrier de ses parents, et sans doute est-il honnête et travailleur, mais si on le laisse continuer comme ça, il risque de nous faire un carnage sur la route. (…) Il y a eu main tendue sur main tendue, mais on en est toujours au même point. C’est à lui d’avoir le déclic et de se prendre en main. Le KAIRN, j’ai pas l’impression qu’on y dise et qu’on y fasse grand-chose, et monsieur n’a pas la volonté de. L’intérêt de l’emprisonnement, c’est qu’il n’est pas un danger pour les autres pendant ce temps. » Et elle demande 1 an de prison ferme et la révocation totale de son sursis mis à l’épreuve, l’interdiction de conduire son scooter(il n’a pas de permis de conduire) pendant 2 ans, et des amendes.

« Comme vous avez raison ! enchaîne maître de Boosere-Lepidi. Vos propos cinglent, mais c’est vrai : quelqu’un qui boit peut représenter un danger. Là où vous avez tort, c’est que vous excluez systématiquement de vos réquisitions la dimension humaine. Il est d’une famille modeste et a subi une blessure, son frère et sa sœur sont handicapés, il lui faut supporter son frère chaque jour (les parents sanglotent, C. rosit et ravale ses larmes). La vie de C. n’est pas une belle vie, mais ce sont des gens honnêtes, et l’alcool pour lui est un adjuvant, une béquille. Je regrette qu’il n’y ait pas d’expertise, il a un problème évident. Et puis il a une addiction à l’alcool, et c’est une pathologie. Quelqu’un qui boit, ce n’est jamais neutre, il y a toujours quelque chose à la clé. Vous avez la charge de la sécurité publique, mais la prison française n’est plus la prison républicaine chère à mon confrère Robert Badinter. C’est un lieu violent, un lieu de corruption : il n’y fera pas sa place, et il perdra son emploi. Si on ne lui tend pas une perche, cet homme va s’effondrer. Il a besoin d’être protégé. » L’avocat évoque le fameux « permis de construire », qui a fait dire à C. qu’il avait « un souci en moins » : il veut sortir de ce contexte familial, et faire construire son propre logement. « J’ai l’impression que beaucoup de professionnels ont failli à leur mission. Vous avez aujourd’hui l’occasion de sauver quelqu’un, dit le défenseur aux juges. La justice n’est pas là pour faire de l’injustice. »

Le tribunal condamne C. à 12 mois de prison dont 6 mois assortis d’un nouveau suivi mis à l’épreuve de 2 ans. Obligation de travailler, et de se soigner « sous le régime de l’hospitalisation », de suivre un stage de sensibilisation à la sécurité routière. Le tribunal révoque le sursis mis à l’épreuve antérieur de 3 mois mais n’ordonne pas le maintien en détention.  C. peut rentrer chez lui.

Florence Saint-Arroman