Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - « Il doit penser que ce sont tous des cas sociaux, des déclassés, qui biturent au gros rouge ! »

TRIBUNAL DE CHALON - « Il doit penser que ce sont tous des cas sociaux, des déclassés, qui biturent au gros rouge ! »

Dans la nuit du 15 au 16 février, soit vendredi dernier, Fabien X a quitté sa place de stationnement vers la gare de Chalon sans mettre son clignotant. Il sortait d’une soirée et s’apprêtait à faire une vingtaine de km pour rentrer chez lui. La patrouille de police qui le voit le contrôle : alcoolémie à 1,48 g en phase ascendante, un récidiviste qui n’était pas venu à son jugement à l’automne, permis annulé. Daï daï, garde à vue, présentation au juge des libertés et de la détention dans la foulée parce que le week-end arrive, et au trou. Vendredi soir, Fabien X dort à Varennes, et hier lundi 19 février il comparaît flanqué d’hommes de l’ARPEJ*.


« La détention, c’est le coup de massue »

Cette fois, c’est la comparution immédiate. Ah ben quand même, 4 condamnations dont 3 pour conduite sous l’empire de l’alcool. Ah ben quand même on a jugé monsieur par défaut en octobre dernier, on l’a condamné à 4 mois de prison, on a annulé son permis de conduire, et il remet ça ? Tout va comme il veut ?
Oui et non. Non, parce que la détention, « c’est le coup de massue », oui, parce que « ma consommation d’alcool est problématique parce que j’ai du mal à m’arrêter ». En clair, Fabien X ne s’arrête pas quand il commence, mais il ne boit qu’en soirée, en mode « festif », alors ça va pour lui, mais seulement dans la mesure où il ne veut pas, ou ne peut pas, encore savoir ce qui le tient.

« Comme vous l’avez dit, on n’est pas forcément alcoolique quand on boit tous les jours », sic

Il est né en 1981, son âge le sauve encore des stigmates d’une alcoolisation habituelle. Fabien X est dans la force de l’âge et ça se voit, il est gérant d’une société et ça s’entend, il est alcoolique et le nie (le déni est inclus dans la définition du mal). Il ne le reconnaît, comme font tous les alcooliques que par prétérition, il parle à l’envers de ce que son esprit ne maîtrise pas. Lorsque la présidente Aussavy, s’employant à l’amener à une prise de conscience, lui dit « un alcoolique ne boit pas forcément tous les jours, et quand on ne sait pas s’arrêter, on commence à avoir un problème », le prévenu lui répond : « comme vous l’avez dit, on n’est pas forcément alcoolique parce qu’on boit tous les jours ». Voilà, voilà. 

« Il doit penser que ce sont tous des cas sociaux, des déclassés, qui biturent au gros rouge ! »

Les pieds dans le tapis, Fabien X, et les pieds dans son casier, le parquet ne le rate pas : « Monsieur est le type de personne insérée socialement qui se fait une représentation de l’alcoolique qui fait que l’alcoolique, c’est pas lui, c’est l’autre. Il doit penser que ce sont tous des cas sociaux, des déclassés, qui biturent au gros rouge, si vous me passez l’expression. » Pour la protection de l’espace public, la vice-procureur Aline Saenz-Cobo sort l’artillerie : « Parler d’alcool ‘festif’, ça lui permet de mettre à distance l’image de l’alcoolique et sa dangerosité, mais il peut y avoir des morts quand on prend le volant avec 1.48 g en phase ascendante. Monsieur finit par avoir un discours séducteur, ayant compris que c’est ce que la justice attend, qu’il reconnaisse qu’il a un problème. Il a compris, ou c’est juste des paroles pour échapper à sa responsabilité ? Est-ce que vous vous préoccupez des autres quand vous buvez et prenez le volant ? Non, jamais ! » La vice-procureur rappelle l’absence de Fabien X à son dernier jugement, et la peine de 4 mois fermes. Elle requiert 8 mois dont 3 mois assortis d’un sursis mis à l’épreuve de 2 ans, avec son maintien en détention car « sinon, l’électrochoc ne se maintiendra pas ». 

« Le comportement de cet avocat est une véritable honte pour la profession »

 « Double procès, plaide maître Marceau. Procès pénal et procès d’intention de madame le procureur. » L’avocat rétablit son client : il ne savait pas qu’il avait été condamné en octobre, il ne savait pas que son permis avait été annulé, il l’a appris en garde à vue, « stupeur ».  « Il y a un contradictoire à signifier, et j’ai fait un appel conservatoire lorsque j’ai découvert ce jugement. » Fabien X avait sollicité les services d’un conseil parisien, lequel, bien que dûment payé, n’a rien assuré de ses devoirs, « le comportement de cet avocat est une véritable honte pour la profession. Monsieur X n’aurait pas conduit si cet avocat avait fait son travail. On n’en serait pas là, c’est une certitude », affirme Julien Marceau. 

« Il est profondément bon, en dépit de ce que peut lui reprocher la société »

Sur le procès d’intention, le jeune avocat s’inscrit en faux contre la lecture du parquet qui regarde les choses en termes de milieux sociaux, « comme s’il n’était pas un pécore, et qu’il s’alcoolise au champagne (et par-là se sentirait au-dessus des autres, ndla) ? Non, ce n’est pas ça. ». Maître Marceau parle du fameux déni, inclus dans la définition même de cette addiction meurtrière. Et puis : « Peut-être que monsieur a des problèmes, c’est même certain, mais il a aussi une humanité, qui transparaît à travers toutes les attestations. Il est profondément bon, en dépit de ce que peut lui reprocher la société. Evidemment qu’il mérite une sanction ! Mais la case ‘sursis mis à l’épreuve’, elle est obligatoire. Peut-être que l’incarcération décidée par le JLD a été une bonne chose, mais c’est suffisant. »

Et si la société se regardait un peu ? 

C’est ainsi que maître Marceau rétablit aussi son client dans son humanité, refusant qu’il soit réduit à la somme de ses problèmes, ce qui en ferait un sale type parfaitement indifférent au sort des autres. Les témoignages abondent dans le sens contraire. Reste le fameux déni, qui vient cliver la personne : d’une main sincère je suis tourné vers les autres, et le souci que j’ai d’eux, de l’autre main je prends le volant sans être clair, et je mets des vies en danger, mais je ne le sais pas, pas suffisamment, pas encore suffisamment. On l’a déjà écrit : le ministère public et les juges n’en peuvent mais, sur cette question qui occupe le plus clair des comparutions immédiates. La société en est comptable dans les choix qu’elle fait et les discours qu’elle promeut, qu’ils soient de Tartuffe ou pas. L’avocat s’adresse au tribunal : « Il faut faire droit à la confiscation de son véhicule, cela l’empêchera de s’en servir, plusieurs personnes se relayeront pour le véhiculer. »

S’il récidive, il sera incarcéré

Le tribunal condamne Fabien X à 8 mois de prison dont 4 mois assortis d’un sursis mis à l’épreuve de 2 ans, avec obligations de travailler et surtout de se soigner, de payer une amende. Son permis est annulé, il doit attendre 6 mois avant de pouvoir le repasser. Son véhicule est confisqué. Le tribunal ordonne l’exécution provisoire, ne demande pas son maintien en détention : Fabien X peut rentrer chez lui, avec, on se permet de le lui souhaiter, une conscience plus avancée de sa situation et de son addiction, car s’il récidivait, il serait alors incarcéré. 

Florence Saint-Arroman

*Autorité de Régulation et de Programmation des Extractions Judiciaires, ARPEJ