Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - Contrainte pénale pour un conducteur sans permis

TRIBUNAL DE CHALON - Contrainte pénale pour un conducteur sans permis

Le lundi 13 août, il sortait du boulot à Sevrey et devait aller sur Chalon chez son frère, pour que celui-ci l’emmène à Mâcon chercher son fils, « mais ça s’est pas passé comme ça » : la voiture a quitté la route, a fait des tonneaux, a fini dans un champ, sur le côté, bousillée. Lui, il n’avait rien, alors il a filé. D’une boulangerie il a pu appeler son frère pour le prévenir : les images d’une caméra en attestent. Des témoins l’ont désigné. Il n’a pas de permis de conduire, les gendarmes ont fini par l’interpeller. Il est jugé ce lundi 27 août.

« Vous n’aviez pas le droit de conduire, lui dit la présidente Catala, mais on ne passe pas en comparution immédiate pour un simple défaut de permis. Or vous avez un parcours judiciaire important en dépit de votre jeunesse. » Il a 24 ans, un survêtement bleu, les cheveux coupés courts et à la mode. Il est sorti de prison en juin dernier, il y a passé les 4 dernières années de sa vie. 159 jours de crédit de peine perdus à cause de divers incidents : 4 années pleines. A son casier 20 mentions dont 19 condamnations. Tribunal pour enfants : vols, vols aggravés, ports d’armes, délit de fuite, et, déjà, conduite sans permis. Il connaît l’emprisonnement alors qu’il est encore mineur. Puis encore des vols, vols par effraction, stupéfiants, violences avec armes, recel. A chaque fois, des peines, pas considérables mais qui se succèdent. En 2014 il est placé en détention provisoire et ça tombe : 11 peines sont mises à exécution, soit 4 ans de prison au total.

Célibataire mais déjà père, il sort donc du centre pénitentiaire et recherche du travail, un sursis mis à l’épreuve l’y contraint. Le juge d’application des peines, à qui le CPIP fait des rapports, estime qu’il est « actif et volontaire » dans ses efforts pour travailler et indemniser des victimes de ses vols. Le JAP en conséquence ne demande pas de révocation de sursis. Le prévenu considère qu’il a « un problème avec l’alcool », car « je ne suis pas dépendant du tout, mais je ne sais pas m’arrêter quand je commence ». Le jour de l’accident on n’a pu faire aucun dépistage puisqu’il avait filé. La voiture, c’était celle de sa tante, qui l’héberge. Il explique un système plus ou moins compliqué de trajets partagés avec l’ancien compagnon de sa tante pour aller tafer : il y a 35 km de distance à parcourir.

Compte-tenu de tout, « le jeu en valait-il la chandelle ? » l’interroge la présidente. « J’avais deux mauvaises solutions devant moi : je n’allais pas bosser et je perdais mon travail (mission intérim), ou je prenais le volant et j’avais une chance sur deux de me faire prendre. – Pas d’autre solution ? insiste la magistrate. – Non, 35 km à faire, je n’avais pas le choix, j’ai estimé. » Le substitut du procureur, Dominique Fenogli, se lève : « J’ai une pensée pour son fils, qui aurait pu se trouver dans la voiture. » Le jeune homme devient alors très nerveux, agité, son corps entier tressaute, ses doigts pianotent crescendo sur l’étroit rebord qui borde le box. Il lance à son avocate : « il dit de la merde, lui, donnez-moi de quoi écrire ». Maître Girardot lui passe une feuille et un crayon de papier. Il a soufflé les mots, mais dans le micro : joies du box qui nuit aux échanges confidentiels entre les prévenus et leurs avocats, joies de la langue et de ce nouveau synonyme : dire de la merde/se tromper.

Il répondra au substitut que « mon fils dans la voiture alors que je n’ai pas le permis, c’est jamais arrivé et ça n’arrivera jamais ». Ce fameux permis il l’a passé et raté 3 fois. Le parquet relève les 7 pages de son casier judiciaire et requiert 5 mois de prison avec mandat de dépôt. Maître Girardot plaide en faveur d’un sursis mis à l’épreuve avec obligation de passer le permis. Le garçon est toujours nerveux, quoique moins agité. Le tribunal (un président et deux juges assesseurs) part délibérer, et rend une décision rare : contrainte pénale de deux ans, et 8 mois de prison en cas de manquements. Le juge d’application des peines en fixera les obligations. 150 euros d’amende (avec la fameuse ristourne de 20 % si elle est payée dans le mois).

« La contrainte pénale, c’est un suivi très renforcé, on va davantage vous coller aux baskets, mais il y aura aussi des mesures d’aides. Ne passez pas à côté de cette chance-là, posez vous les questions de vos priorités. Vous pouviez tuer quelqu’un, perdre la vie, ou perdre à nouveau votre liberté. » Le garçon se lève : « Je vous remercie de la peine. Elle va me servir, celle-là. – Vous avez eu d’autres occasions, monsieur, mais peut-être le manque de maturité… (il acquiesce). C’est vous, et vous seul, qui déciderez dans quel sens les choses iront pour vous, monsieur. »

Florence Saint-Arroman