Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - Échanges à teneur sexuelle et pornographique avec des enfants : il est piégé par une association

TRIBUNAL DE CHALON - Échanges à teneur sexuelle et pornographique avec des enfants : il est piégé par une association

Il dit que c’est « à cause du confinement », mais la prévention démarre au 30 décembre 2019. Un homme âgé de 67 ans est jugé ce lundi 17 mai pour corruption et propositions sexuelles faites à un mineur (moins de 15 ans) par un majeur utilisant un moyen de communication électronique. La prévention court sur 6 mois.

Nous sommes en Bresse chez ce monsieur, retraité, propriétaire de sa maison mais divorcé depuis une vingtaine d’années, « je suis seul ». Il est seul, il dort mal, il va traîner sur Facebook et y entre en contact avec « plusieurs jeunes filles » dont deux gamines, Léa et Lilou, très claires sur leurs âges : elles ont 13 ans. D’échanges en mots doux avec des petits cœurs, ces petits cœurs qui ne riment à rien mais qui font chaud, le grand-père en vient au cœur (sic) du sujet : le sexe. Il envoie des photos pornographiques, des photos de son sexe, en vient à faire des propositions sexuelles aux gosses, à envisager des rencontres physiques, il propose de leur passer de l’argent pour qu’elles se déplacent.

L’association Les enfants d’Argus

Ça dure 6 mois, 6 mois de sa vie désœuvrée qui s’organisent autour de ces rendez-vous électroniques et d’un peu d’excitation. Mais derrière les profils de Léa et Lilou se cachent deux adultes de l’association Les enfants d’Argus. La «Team Argus » crée des comptes d’enfants, sur tous les réseaux sociaux, partant du sinistre principe que « partout où il y a des enfants, il y aura des pédocriminels, et on essaiera nous aussi d’être là »*. C’est ainsi qu’alors que le retraité de la Bresse se faisait du bien, enfermé dans sa bulle et se croyant à l’abri des regards, il était au contraire surveillé, ses échanges et photos étaient imprimés. La Team Argus monte des dossiers qu’elle transmet aux autorités compétentes, en France ou en Belgique.

« C’était une erreur, ça ne se reproduira pas ». Sauf que ça se reproduit

Alors un jour les gendarmes interviennent et le prévenu est placé en garde à vue. C’était en septembre 2020. Placé devant l’évidence de ses actes, il dit que « c’était une erreur, ça ne se reproduira pas ». Sauf que ça se reproduit puisque, une fois remis de ses émotions, il reprend contact avec le profil « Léa ». Il n’envoie plus de photos pornos, mais des « mon cœur », « mon ange », lui dit qu’il l’aime. Ce lundi de mai, il est à la barre, il passe en dernier et la salle est vide. Il se tient devant des juges, les épaules un peu enroulées sur l’avant et les bras devant, les doigts légèrement rassemblés en pince. Ce n’est pas facile, ça ne l’est jamais, les vrais absolus pervers sont rares.

« Je ne sais pas ce qui s’est passé dans ma tête. Pis, je suis seul »

« Je ne sais pas ce qui s’est passé dans ma tête », grommelle-t-il. S’agissait-il bien de la tête ? La présidente le confronte, puisque la question, toujours, c’est d’essayer de savoir si on est sur le registre de purs fantasmes (alimentés par des éléments de réalité), ou si monsieur est un prédateur qui peut passer à l’acte. « Vous parlez d’amitié, mais est-ce qu’une amitié câline avec une enfant de 13 ans ne paraît pas un comportement décalé ? » Silence. Il n’a pas de vie sexuelle, il n’a pas d’aventures avec des femmes de sa génération. « Vous parliez de faire l’amour avec ces enfants, vous parliez de leur donner de l’argent pour qu’elles se déplacent. – Je ne sais pas ce qui s’est passé dans ma tête. Pis, je suis seul. »

Il rencontre, contraint par la justice, un psy. « Je lui ai expliqué les faits et puis voilà »

Mi-janvier 2021, seconde interpellation et cette fois-ci, des poursuites. En attendant son jugement, le juge des libertés et de la détention place ce monsieur sous contrôle judiciaire : interdiction de contact avec des mineurs (il a un petit-fils, il ne peut plus le voir), et obligation de soins. Le prévenu n’en voit pas l’utilité. Pour quoi faire ? Pour quel motif ? On ne lui laisse pas le choix, il rencontre un psy. « Je lui ai expliqué les faits et puis voilà. J’ai un traitement pour dormir la nuit et être plus calme. » Et puis voilà. Sinon, il lui parle de ses loisirs. On est sur quelque chose de blanc : pas de contenu, pas de questions, pas d’élaboration de quoi que ce soit. Il a fait « ça », il ne le fait plus, « et puis voilà ».

« Pourquoi on ne se connecte pas pour rencontrer des femmes de son âge ? »

Du coup l’instruction tourne en boucle, comme lui. « Qu’est-ce que ça vous fait d’avoir été un peu piégé ? C’était heureusement des victimes virtuelles. – Ben j’ai fait une erreur. » Un juge assesseur s’y met : « Vous n’avez pas pensé à leur âge ? Elles ont 13 ans. C’est réprouvé par la loi pour les protéger. Si on s’ennuie, pourquoi on ne se connecte pas pour rencontrer des femmes de son âge ? » Silence. « Il y avait quand même une excitation réelle autour des images envoyées », insiste la présidente. Le prévenu acquiesce. Pas de casier, une vie de travailleur, deux filles qui n’ont pas à se plaindre de lui, « jamais de gestes déplacés », deux filles qui, d’après lui, estimeraient que leur père « a fait une erreur, mais rien de dramatique ».

Il parle comme si l’enfant, c’était lui

A quoi il s’occupe ? « Ben, dans mon jardin. J’ai fait du bois cet hiver. Je joue à la pétanque. » Il parle à plat, y a pas de ton, pas de vie. Et qu’est-ce qu’il ressent, d’être devant un tribunal ? Il soupire. « Ben que j’ai fait une grosse bêtise, je ne suis pas fier de moi. » Il parle comme si l’enfant, c’était lui. Angélique Depetris, substitut du procureur, l’analyse ainsi. « Monsieur, désemparé, n’a aucune réflexion sur ses actes. Il parle de bêtise alors qu’il a commis une infraction susceptible d’une peine d’emprisonnement. Il faut qu’il se soigne, mais je ne suis pas certaine qu’il ait compris, parce que parler de ses loisirs… » Elle requiert une peine de 18 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans, avec obligation de soins et interdiction de contact avec des mineurs.

« Il n’a pas le profil » d’un prédateur

Maître Mirek plaide. Son client n’est pas un prédateur, « il n’a pas le profil ». « Il n’est pas fier et il est peu loquace. Comment en est-il arrivé là ? Il n’a pas toutes les réponses et c’est rassurant, car ça se saurait si c’était simple de savoir le pourquoi du comment. » L’avocate demande une exception à l’interdiction de contact avec les mineurs, pour qu’il puisse voir son petit-fils, et que la justice lui rende son ordinateur, « il y a ses photos de famille ».

4 mois de contrôle judiciaire sans effet sur la conscience du prévenu

La procureur s’était étonnée et inquiétée que la période de contrôle judiciaire (4 mois) n’ait pas permis à ce monsieur d’avancer un peu sur ce qu’il a fait, à savoir des démarches perverses, répétées pendant 6 mois, et réitérées. Dans ce même sens, nous sommes frappé qu’à l’audience il n’ait pas émis la moindre intention de sortir de son dénuement personnel, d’aller à la rencontre d’autres, de se faire de vrais amis, de vrais copains, de vrais flirts et qui sait ? Ce qu’il dit n’a pas le moindre intérêt, c’est blanc, et c’est flippant. Son avocate évoque sa honte. On sait qu’il est épouvantablement difficile de faire face publiquement à ce genre d’infraction, mais tout de même, prendre ses responsabilités, prendre sa vie en charge, c’est le minimum qu’on peut attendre d’un adulte que ça ne dérangeait pas, bien au contraire, d’envoyer des photos dégueulasses et très violentes pour un enfant, à un enfant (c’est pourquoi on parle de « corruption » de mineur : tout cela n’est pas de son âge et ne peut que lui faire du mal). A aucun moment le prévenu n’indique avoir pris conscience des effets destructeurs sur des enfants, de ses actes. Il sait juste que c’est interdit et il est inquiet des conséquences de ses actes, mais pour lui.

Deux ans de soins, 1 an de prison au cas où

Le tribunal le condamne à une peine de 12 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire de 2 ans, avec une obligation de soins. Ordonne la confiscation des scellés (l’ordinateur). Constate son inscription au FIJAIS (fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles et violentes).

FSA

*https://www.facebook.com/102256787972270/videos/477701450042074
Site de l’association : https://www.lesenfantsdargus.org/

Sur le site d’Interpol : https://www.interpol.int/fr/Infractions/Pedocriminalite

FIJAIS : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F34836