Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - Quatre mois de prison ferme pour le parent qui avait frappé un enseignant à Mervans

TRIBUNAL DE CHALON - Quatre mois de prison ferme pour le parent qui avait frappé un enseignant à Mervans

« Votre comportement a été parfaitement légitime sur le plan éducatif. » Damien Savarzeix, procureur de la République, commence ses réquisitions en s’adressant à la victime. Eric Chapoix, instituteur à l’école primaire Lucie Aubrac de Mervans, avait empêché un enfant d’en frapper un autre en le retenant par le col.

 L’enfant aurait présenté une version améliorée de la scène à son père, lequel s’est rendu sur place, le lundi 26 mars, vers 16h30, a traversé la cour droit sur l’instituteur désigné par l’enfant et lui a asséné une gifle assortie de menaces. Jérémy X., 27 ans, fut arrêté le lendemain soir, puis placé en détention provisoire jusqu’à ce jeudi 29 mars, jour des comparutions immédiates. 

Le procureur de la République au soutien de l’autorité légitime, celle qui ‘doit être’

« On stoppe la violence d’abord par l’exercice de la coercition. Là, monsieur Chapoix a fait son travail et je l’en félicite. Je ne crois pas que ça se renouvellera, Monsieur X. est sur le point de perdre beaucoup, beaucoup, beaucoup, et il ne s’approchera plus de l’école, ni de vous, ni de vos enfants. » Le procureur encourage le jeune instituteur (10 ans d’expérience professionnelle) à reprendre rapidement le travail. Eric Chapoix est en arrêt maladie depuis les faits. La gifle et ses effets douloureux ont été constatés, et puis il y a les menaces : « je reviendrai », « je sais où vous trouver et vos enfants aussi ». Rien de plus pernicieux que ces mots qui insécurisent. Son épouse est également en poste dans cette école. 

L’école fermée mardi, a réouvert, « c’est difficile »

L’école d’environ 170 élèves dans une commune de 1500 habitants fut mise sens dessus-dessous par l’effraction de cette agression dans son enceinte. Les menaces proférées pèsent au point que la directrice, Nathalie Vernay, l’a fermée le lendemain, recourant au droit de retrait : l’agresseur courait toujours (« c’est vrai, j’ai essayé d’échapper aux gendarmes »), et il avait bien dit « je reviendrai ». Et puis il faut parvenir à métaboliser l’effraction, ce qui n’est ni simple, ni rapide. « Il restait alors 80 enfants, dont des petits de maternelle qui ont eu très peur. Les parents nous ont assurés de leur soutien, dit la directrice aux yeux cernés, éprouvée. Les villageois sont peinés et choqués. C’est difficile pour nous maintenant. »

« Je suis très-très-très impulsif », « c’est inacceptable »

C’est difficile. Le prévenu, après avoir le lundi 26 fait exploser les formes, n’est guère aidant sur le fond à l’audience, car il maintient : « quand mon fils m’a dit qu’il l’avait pris par le colback et collé contre le mur… on ne fait pas ça. Mon fils n’est pas un menteur. » Mauvaise appréciation de ce qu’est un enfant, lui renvoie le parquet. « Je suis très-très-très impulsif, je suis comme ça depuis tout bébé, une vraie pile électrique », dit encore le prévenu. La présidente Catala trouve que son casier judiciaire en témoigne, 17 condamnations dont plusieurs pour des violences. Jimmy X. insiste : il a changé, depuis 2 ans il ne cause plus d’ennuis et il travaille, mais… « ‘Mais’, … on ne frappe pas, point. Il n’y a pas de ‘mais’, plaide maître Charbonnel pour l’instituteur, et au-delà de lui pour l’école. C’est inacceptable, ce que vous avez fait. Comment les choses vont-elles se passer dans les semaines qui viennent ? »

« On a eu de bons rapports, mais on a aussi à lui dire ‘stop’ souvent »

Il faut savoir que le petit garçon de 9 ans s’était d’abord plaint à sa mère de ce que l’instituteur en charge du temps périscolaire l’avait sèchement remis à sa place, et que la mère s’était rendue à l’école inonder Eric Chapois de reproches assortis d’insultes. Main courante. Le père est venu passer une seconde couche, alors que son ex-compagne voulait l’en dissuader. « Je n’ai pas soulevé l’enfant, explique l’instituteur. Cet élève n’est pas dans ma classe mais je l’ai eu sur des temps d’activités périscolaires. On a eu de bons rapports à cette période, mais on a aussi à lui dire ‘stop’ souvent, c’est un élève turbulent. » « Turbulent », c’est le mot que la présidente avait employé lorsqu’elle a exposé les faits et le contexte, et le père visiblement ne supporte pas que d’autres que lui portent un regard critique (et dénué de jugement, mais pour lui c’est est un) sur son fils. Il en fait un enjeu personnel, revient souvent là-dessus, à se demander si c’est bien du petit qu’il parle, et pas de lui, au fond, mais on n’en sait rien. 

L’avocat rejoint le parquet sur le fond, et plaide l’ignorance « des valeurs »

Maître Marceau qui assure la défense de Jérémy X. est franc : leur rencontre dans les geôles du palais avant l’audience fut animée, « on a dû nous entendre dans les bureaux. Je lui ai tenu à peu près le même discours que monsieur le procureur ». Mais l’avocat pense devoir quelques excuses au père qui ne fut scolarisé que jusqu’en « CP-CE1, c’est tout ». « J’ai manqué de patience et de diplomatie, car ce que nous devons à nos instituteurs, monsieur X. ne peut pas le comprendre. Quant à ses regrets, ils lui arrachent la bouche mais quand même il les a présentés. Il a fait preuve d’orgueil et d’impulsivité », et d’ignorance, donc. Une ignorance océanique des lois, mais aussi de la vie symbolique, de la place de l’institution scolaire, de ce qu’un adulte doit à un enfant : des limites, correctement placées, « justement » placées. L’instituteur a fait ce cadeau à un petit dont il est responsable dans l’enceinte de l’école, mais le père a « tué ce processus éducatif », réassure le procureur.

« Monsieur X. ne mesure pas que ce qu’il a fait est très grave, et que la première victime, c’est son fils. »

Damien Savarzeix justifie en quoi l’espace scolaire doit être « un sanctuaire », avec la dimension sacrée qui y est associée. L’école est le lieu d’apprentissage par excellence. Dans la cour de récréation se jouent toutes les interactions possibles, bonnes, mauvaises, de rivalités, de jalousies, de rapports de force. Cette initiation, qui se fait au premier chef dans les familles, ne saurait faire grandir sans l’accompagnement d’adultes et la transmission des interdits, des repères, du sens nécessaire pour comprendre ce qui se passe, ce que l’on fait, ce que l’on n’a pas le droit de faire, et pourquoi. Or, « l’adulte qui est l’autorité en ce lieu a vu son intégrité physique bafouée. Monsieur X. ne mesure pas que ce qu’il a fait est très grave, plus grave sans doute que les vols dont il fut l’auteur, et que la première victime, c’est son fils. » Dans la salle, un silence de cathédrale. Le public est peu nombreux mais saisi, et ému, par la force du discours du procureur sur ce qui permet de « fabriquer » un être humain. 

4 mois de prison ferme, du sursis et des soins

« Alors, oui à l’individualisation de la peine, mais oui aussi à la charge symbolique de la peine. La directrice vous l’a dit, monsieur, votre fils veut apprendre, et le contact est possible avec lui. Comment va-t-il vivre avec ça aujourd’hui ? Il est pour le moment déscolarisé, et un instituteur qu’il aime bien a été frappé par son père. S’il n’apprend pas, il se prépare quelle vie ? » Le procureur requiert 8 mois de prison dont 4 mois assortis d’un sursis mis à l’épreuve, et le maintien en détention. Le tribunal suit les réquisitions, Jérémy X. devra suivre des soins psychologiques, il lui est interdit de paraître à cette école et au domicile de l’instituteur, le moindre contact avec celui-ci pourrait envoyer Jérémy à nouveau en prison. Il est incarcéré pour 4 mois dès maintenant, « et je perds mon boulot, moi ! » proteste le jeune homme, arrivé ignorant, repartant ignorant, qu’un père doit enseigner les lois qui régissent la vie sociale, et toujours incapable de déléguer cette tâche dont il ne fut pas instruit, dans l’intérêt de ses fils. 

Recevoir une limite

Jérémy X, 27 ans, voulait faire la démonstration de l’amour pour ses gosses, « je passerais dans le feu pour mes enfants », infantile, « un adulte qui n’en est pas un, qui est un enfant, qui réagit comme un enfant » requérait Damien Savarzeix. Du box, le gars au cou tatoué gardait le regard bas sous son front plissé. Recevoir la limite si tard dans sa vie, c’est un cadeau difficile à accueillir comme tel.

FSA