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Info-chalon.com a lu pour vous "Corruption" d’Antoine Peillon

Info-chalon.com a lu pour vous "Corruption" d’Antoine Peillon

Il y a quelque chose de pourri en République Française. Une vague odeur de décomposition plane. Parfois, elle nous emplit les narines, jusqu’à la nausée. Ici et là, les affaires impliquant hommes politiques, banquiers d’affaires, marchés truqués, évasion fiscale ou, plus localement, des députés « oubliant » de payer leurs factures ou des élus de déclarer leurs impôts rappellent que l’honnêteté n’est pas innée, de la petite main au gros bonnet.

Après « Ces 600 milliards qui manquent à la France » (Seuil, 2012) où il détaillait par le menu le système mis en place par la banque UBS pour capter frauduleusement, via l’évasion fiscale, quelques belles fortunes françaises, Antoine Peillon, grand reporter à « La Croix », se livre à des rappels salutaires et peu flatteurs de notre histoire commune. Un droit d’inventaire républicain en quelque sorte. De l’affaire Carignon qui égaya les années quatre-vingts dix, aux rebondissements affairistes des années Sarkozy, en passant par les liens de la pègre corso-marseillaise avec le SAC (Service d’action civique),  sans oublier les scandales de la MNEF ou autres Cahuzac.

 

« Jamais, depuis la Libération, notre République n‘a été à ce point corrompue, commence l’auteur. Faire l’inventaire de la progression du mal au cours des vingt dernières années, en prendre toute la mesure, est absolument nécessaire et relève, étant donné l’omerta qui étouffe la presse et interdit le vrai débat public, du « courage de la vérité ». Mais les révélations journalistiques, fussent-elles plus significatives, ne sont plus suffisantes »

A une époque aux médias hypertendus, où l’information d’après est toujours moins intéressante que celle d’avant, se poser pour réfléchir et s’asseoir au cœur du tourbillon surprend. Car Antoine Peillon ne se contente pas de révéler des faits, de les mettre en perspective, d’en inventorier d’autres. Il s’agit, avant tout de comprendre la corruption. Donc de démonter le mécanisme.

 

L’homme est, disons-le une fois pour toutes, naturellement faible et corruptible. Observons l’évolution du phénomène à travers les âges, y compris philosophiques. Il y a une anthropologie de la corruption. Comment vient-on à acheter l’autre, à le pousser à se vendre, à tricher, à prendre plus « petit » que soi pour denrée corvéable et méprisable ? La permanence de la corruption, qui selon une théorie néolibérale ne peut être abattue, ni combattue est-elle une fatalité ? Rien n’échappe à cet ogre, vraiment ? Aucun continent, aucune société n’est immunisée. Plutôt que de désespérer d’un phénomène trop souvent présenté comme inéluctable (par les corrupteurs eux-mêmes), ou trop facilement toléré par les Français, Antoine Peillon se livre à un inventaire sain et revigorant de textes philosophiques, d’essais sociologiques ou d’enquêtes de terrain.

 

Des philosophes antiques aux rudes contemporains, comme Cornélius Castoriadis, par des citations d’enquêteurs zélés trop méconnus, l’auteur chasse ainsi, au fil des pages, le découragement qui étreint souvent l’honnête citoyen(ne) face au mensonge, à la prévarication,  à l’hypocrisie ou aux petits, gros et toujours sales « arrangements ». De précieuses clés ou « boîtes à outils » bienvenues. Où commence le conflit d’intérêt, où démarre la corruption ?

 Du discours sur la servitude volontaire  d’Etienne de La Boétie, l’ami de Montaigne, au « plafond de verre » de Paul Jorion, chercheur belge qui a prédit la crise des subprimes, les exemples de résistance au « pourrissement », à l’argent-roi sont plus nombreux et variés que l’on croit. Des lanceurs d’alerte, des résistants têtus, des personnes qui ont simplement dit : « non » à un moment de leur vie. Un courage de la vérité, un esprit, une « révolte civique ». Une attitude souvent inconfortable à assumer les premiers temps mais qui se révèle salvatrice et constructive, pour soi comme pour la société humaine.

 

Florence GENESTIER

 

« Corruption » d’Antoine Peillon, Seuil, 18 euros, 256 pages.

 

EXTRAITS

 

« On l’a compris, à gauche comme à droite, là où le pouvoir se concentre, les conflits d’intérêts et la pure corruption, le jeu des services rendus, des emplois fictifs, des fausses factures, des commissions, des rétro-commissions, des très mauvaises fréquentations, du renseignement hors la loi… sont devenus le modus vivendi des oligarchies qui régentent la République, aussi bien que les grands groupes industriels commerciaux et financiers » 

 

Un exemple d’affaire rappelée par Antoine Peillon qui a quelques rapports avec la Saône-et-Loire et la Région Bourgogne, p. 94 :

« C’est ainsi que depuis le 31 décembre 2011, les enquêteurs de la brigade financière « disposent d’un rapport d’expertise judiciaire décrivant les étranges manœuvres d’une  société de conseil auprès des bailleurs sociaux et collectivités locales » révèle Didier Hassoux, du Canard Enchainé. Cette entreprise baptisée Maât, en liquidation judiciaire depuis 2010 s’était auparavant attaché les services de plusieurs cadres du PS, de l’UMP et du Medef, dont ceux de Razzye Hammadi, ex-président des jeunes socialistes (2005-2007) aujourd’hui secrétaire national du PS et député de Seine Saint-Denis (salaire annuel versé par Maât : 34000 euros en 2008, puis près de 46000 euros en 2009). Mais aussi ceux de Florence Rognard, ex-assistante parlementaire du député PS de Paris, Christophe Caresche, ainsi que ceux de Christophe Borgel, compagnon de Florence Rognard, qui a perçu en 2008, quelque 57000 euros en honoraires versés par Maât, alors qu’il était à la même époque, inspecteur de l’académie de Paris »

 

« Comme quoi, le contrôle indépendant, l’information et la démocrate sont les seuls antidotes véritables à la corruption » p.155

 

« Et c’est ainsi que nous retombons sur l’équation : corruption = anomie (absence de loi, désorganisation) + intérêt + oligarchie + nihilisme » p. 210

 

 « Ce que maîtres et esclaves contemporains, liés par le grand contrat capitaliste de la subordination refusent d’entendre, c’est l’appel à changer nos vies, à ne plus confondre l’être et l’avoir à suivre les voies spirituelles et politique du « salut » » p. 256 et dernière.