Livres
Rencontre avec la romancière Valérie Perrin Prix des lecteurs 2019
Par Nathalie DUNAND
Publié le 18 Novembre 2019 à 06h00
Valérie Perrin, un nom qui court sur toutes les lèvres de ses lecteurs. Qui court et qui s’échange, sourires et regards complices, comme une pépite qu’on se partage. Valérie Perrin a pris le temps de répondre aux questions d’Info-chalon.com.
C’est vrai que Valérie et la Bourgogne, c’est une longue histoire qui remonte aux racines de l’enfance, de celles qu’on ne veut pas oublier.
Itinéraire d’une femme qui porte en elle l’authenticité et l’empathie de ses héroïnes et qui dévoile, sans artifice, ses goûts littéraires, ses projets et des révélations sur son troisième roman.
Photographe, scénariste, romancière depuis 4 ans… Vous avez eu plusieurs vies ?
V. P. : Oh ! C’est encore bien plus complexe que ça ! J’ai exercé plusieurs métiers avant ceux-là : secrétaire et vendeuse en interim, directrice des opérations dans la téléphonie mobile… En réalité, il y a beaucoup d’expériences qui précèdent cette vie-là.
Vous avez été photographe de plateau pour Claude Lelouch, votre compagnon depuis 13 ans. Aujourd’hui, vous êtes auteure à succès : les images, les mots, quel lien voyez-vous entre ces deux modes d’expression ?
V. P. : On dit qu’une image raconte 1000 mots et c’est vrai. Aujourd’hui encore, j’adore prendre des photos de rue avec mon portable. Je puise la beauté dans ce qui n’est pas posé, dans l’instant improvisé.
L’écriture, elle, est un travail quotidien, régulier, qui demande de la concentration et un certain isolement. Lorsque j’écris un roman, j’en connais la fin, la direction, mais je me laisse toute liberté pour emprunter les chemins qui me sembleront les meilleurs à l’instant de l’écriture. Je n’établis pas de plan, je me laisse porter par ce que j’appelle « les mots de gitan », ceux qui bougent, qui restent dans le mouvement. C’est peut-être là le lien entre mes deux modes d’expression : cette part de liberté.
Vous avez coécrit les scénarios des derniers films de Lelouch. Peut-on parler d’une écriture à quatre mains ?
V. P. : Non, pas exactement. Pour écrire, j’ai besoin de m’isoler, je suis plutôt une solitaire. Claude raconte des situations, nous en discutons puis, de mon côté, je me plonge dans l’écriture. J’ai besoin d’être seule face aux mots. Je lui soumets une version, et sur cette base, nous échangeons à nouveau et ainsi de suite.
Votre lien avec Claude Lelouch est-il un facilitateur ou un obstacle ?
V. P. : Si mon premier roman, Les Oubliés du dimanche,a pu être publié, c’est parce que le comité de lecture des éditions Albin Michel a eu un coup de cœur qui a fait l’unanimité. Et, en toute franchise, je ne pense pas qu’un éditeur ait intérêt à publier un texte « de la femme de » s’il le juge médiocre. Très vite, les blogueurs ont beaucoup fait pour le bouche-à-oreille. Deux mois après la sortie du roman, une expérience m’a beaucoup aidée, qui n’est pas offerte à tous les auteurs, j’en suis consciente : j’ai eu accès au plateau de Michel Drucker, Vivement dimanche prochain. Le thème abordé était la vieillesse vue autrement et ça a été un coup de pouce commercial. Cela dit, jamais Claude n’a passé un coup de fil aux journalistes pour parler de mon livre. Dans les faits, ce sont les lecteurs qui décident et portent un livre vers la réussite. C’est pour ça que le prix des lecteurs a tant d’importance à mes yeux.
Vous êtes une grande lectrice et dans Changer l’eau des fleurs, votre deuxième roman, vous partagez quelques-unes de vos pépites littéraires. Pourriez-vous nous parler de vos goûts littéraires ?
V. P. : Oui, c’est vrai, je lis beaucoup et en cela, je me sens très proche de ces blogueurs à la recherche de la pépite, celle qui vous fait vibrer, celle qui vous pousse à vous hâter le soir pour retrouver plus vite le livre commencé. Dans Changer l’eau des fleurs, Violette, mon héroïne, qui a pourtant grandi bien loin de la littérature, lit et relit L’œuvre de Dieu, la part du Diable de John Irving. Je ne me lasse pas de la beauté de son écriture. Le monde selon Garp, c’est sublime ! J’adore aussi Jack London, je trouve que Martin Eden est un chef-d’œuvre absolu. Parmi les romans contemporains, j’aime beaucoup Anna Gavalda ou des romans comme Une femme de Anne Delbée (en référence à Camille Claudel), Mal de pierres de Milena Agus, Déferlantes de Claudie Gallay. Ce sont des romans qui m’ont bouleversée. Il y a tous les éléments que j’aime : l’enquête, le mystère, la solitude, l’amour, et qu’on retrouve dans mes romans. Je dis souvent que j’écris des romans d’amour, construits comme des polars. Il y a toujours une énigme à élucider, qui est le fil rouge de l’histoire.
Vos deux romans connaissent un succès retentissant. Les Oubliés du dimanche (2015) : 13 prix, Changer l’eau des fleurs (avril 2018) : 4 prix, en tête des ventes, et c’est un début. Est-ce qu’un auteur peut pressentir un tel engouement des lecteurs ?
V. P. : Non, on ne peut pas s’y attendre, c’est surréaliste ! Quand je me relisais, durant l’étape des corrections, j’étais malgré moi happée par le texte, comme si j’étais spectatrice et non initiatrice. Je me disais, c’est peut-être bon signe. Quant à imaginer la réaction des lecteurs, c’est impossible. Je me souviens que j’étais en Grèce avec mes deux enfants, en juillet dernier, quand j’ai lu un tweet : « Valérie Perrin est en 2eposition de toutes les ventes confondues sur le mois de juillet 2019 », j’en suis restée interdite. Quand la version Poche est sortie en avril, c’est parti très vite. Et le plus surprenant, c’est que ça se maintient, malgré la rentrée littéraire de septembre et tous les nouveaux romans parus depuis ! En un mot, c’est merveilleux. Quand le livre a reçu le prix des lecteurs en septembre 2019, ça a été pour moi la consécration, précisément parce que ce sont les lecteurs qui ont choisi mon roman parmi tant d’autres, et parce que ce sont eux qui m’ont poussée à écrire un deuxième roman, puis un troisième. Le lien avec les lecteurs est très nourricier. Quand vous recevez des messages comme « Valérie, n’arrêtez pas, vous nous faites du bien, on a hâte de vous lire », c’est un moteur puissant.
Comment percevez-vous les qualificatifs de « chick lit » ou « feel good » de certains articles de presse ?
V. P. : Je crois que ces étiquettes proviennent d’un vrai malentendu entre le texte et la couverture. Le visuel est la toute première impression du lecteur. Pour Changer l’eau des fleurs, il y a eu 50-50 : soit les personnes étaient attirées par la couverture, soit elles ont pensé qu’il s’agissait d’un roman à l’eau de rose. Or, ce n’est absolument pas un roman feel good. Ce qui importe au fond, c’est la teneur d’un roman et, dans chacun, j’évoque des destins très durs, des moments extrêmement noirs, avant que mes héroïnes ne se forgent un avenir plus lumineux.
Dans Changer l’eau des fleurs, vous citez un romancier et poète bourguignon, Christian Bobin :
« Les mots tus s’en vont hurler au fond de nous. » Et en effet, les héroïnes de vos deux romans vont connaître la résilience grâce aux mots.
V. P. : Oui, je trouve cette phrase magnifique. Elle dit tout de l’importance des mots et de leur transmission. Justine, comme Violette consignent les récits pour garder une trace, une mémoire de ceux qui sont passés sur cette Terre. J’ai cette obsession de retenir le souvenir de ceux qui ont disparu. Les paroles de chansons et les épitaphes, en titre des chapitres, participent du même besoin. Graver la mémoire sur papier et la transmettre.
Ce qui est précieux dans la transmission intergénérationnelle, c’est la réciprocité. On ne doute pas de ce que les plus expérimentés apportent aux plus jeunes, mais inversement, les jeunes apportent en retour une curiosité, un regard neuf dont on doit se nourrir, surtout dans un monde qui évolue vite. On retrouvera ce thème dans mon troisième roman, que j’ai bien avancé, il y a une histoire de facteur et de courriers qui reprend ce thème.
Des projets ? Vous évoquiez un roman à venir ?
V. P. : Oui, je suis plongée dans l’écriture du troisième roman depuis environ un an. Pour l’instant, je l’appelle « Trois » parce qu’il est question de trois amis qui se connaissent depuis l’âge de 10 ans, trois destins explorés sur une période de 30 années, de 1986 à 2017. La construction s’opère en allers-retours autour d’une cassure : qu’est-ce qui fait qu’ils se sont aimés au point de ne pas se quitter puis subitement ne se parlent plus ? On pressent qu’il s’est passé là quelque chose d’important, qu’on découvrira au fur et à mesure. C’est l’exploration d’une amitié qui se dénoue. Que fait-on de notre enfance, de nos amitiés, de nos rêves ?
J’écoutais Jean-Paul Dubois, il y a quelques jours, qui s’exprimait à l’occasion de son prix Goncourt 2019. Il expliquait qu’il avait écrit ce roman de 200 pages en un mois, travaillant de 8 h à 4 h du matin. Je vous avoue que j’ai ri : moi, au bout de trois heures d’écriture, je suis exsangue ! Alors, pour écrire 600 pages… Le détail, c’est fondamental pour moi. C’est pour ça que mes romans sont plutôt volumineux.
L’autre projet, c’est l’adaptation cinématographique de Changer l’eau des fleurs. Je travaille actuellement sur l’écriture du scénario. J’aimerais beaucoup en faire la réalisation, peut-être en Bourgogne, mais là, nous sommes encore dans le domaine du rêve.
Quels sont vos rapports avec la Bourgogne ?
V. P. : Mon père était footballeur, c’est comme ça que nous sommes arrivés à Gueugnon en 1967. J’y ai grandi jusqu’à l’âge de 19 ans, mes parents y vivent encore. J’adore la Bourgogne et j’éprouve un vrai besoin d’y retourner. Les gens se connaissent, on en part, on y revient et c’est ce retour aux sources qui est fondamental. C’est très important pour moi. La Bourgogne est présente dans mes deux premiers romans. L’histoire de Changer l’eau des fleurs se passe dans une ville imaginaire nommée Brancion-en-Chalon, mais ce nom sonnera vrai aux oreilles des Bourguignons. Mon troisième roman se passera à La Comelle, petite commune de Saône-et-Loire, entre Étang-sur-Arroux et Autun.
Sur quel sujet aimeriez-vous conclure ?
V. P. : La cause animale est un sujet auquel je suis sensibilisée depuis mon enfance, et c’est resté gravé en moi. Alors oui, j’aimerais conclure sur ces mots, à répéter et à transmettre : « N’achetez pas un animal, adoptez-le… et stérilisez-le ! »
Valérie Perrin s’est engagée pour la cause animale, elle est marraine du refuge de Gueugnon, l’ADPA. Je crois qu’il y a là un respect profond de la vie sous toutes ses formes. Quand elle évoque Coluche qui nourrissait les chats errants du quartier avant de créer Les Restos du cœur, nous, on pense à Violette, la garde-cimetière de Changer l’eau des fleurs, entourée d’animaux qui ne lui appartiennent pas, et auprès de qui les âmes en peine viennent chercher refuge.
Et justement, en parlant de refuge… Valérie Perrin nous offre une dernière confidence sur son prochain roman. Un personnage, Nina, dirige un refuge pour animaux : « Dans le cœur d’un refuge, confie-t-elle, on trouve beaucoup d’humanité. »
Dans l’univers de cette auteure, où la gravité côtoie la fantaisie, c’est cela qui s’exprime avec fulgurance : l’humanité. Il y a des livres qui sont comme des baguettes magiques pour entrer dans la littérature. Les romans de Valérie Perrin sont de ceux-là.
On attend avec impatience ce troisième opus. Merci de nous faire vibrer, Valérie !
Par Nathalie DUNAND
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