Faits divers

Bébé secoué, un père condamné à Chalon sur Saône

Par Florence SAINT-ARROMAN

Publié le 30 Novembre 2021 à 22h04

Bébé secoué, un père condamné à Chalon sur Saône

Quand le nourrisson convulse, au cours de cette nuit du 22 juillet 2017, ses parents appellent le SAMU. Ils vivent en campagne, on leur dit de foncer à l’hôpital de Chalon. Le 23, le bébé est en réa à Dijon, le lendemain on l’héliporte à l’hôpital Femme Mère Enfant (HFME) de Bron. Là, les médecins vont interroger les parents.

Le bébé, âgé de 2 mois, souffre en effet d’hématomes sous-duraux d’âges différents et de trois fractures bilatérales des côtes. Cela indique un syndrome de bébé secoué. Le service de réanimation fait un signalement au procureur de la République. L’enquête établit rapidement que ce bébé était un enfant désiré. C’est le second enfant d’un couple « parfaitement inséré socialement et professionnellement ». D’où l’angle de la plaidoirie de maître Mathilde Leray : contrairement à ce que les préjugés sociaux véhiculent, il n’y a pas de « profil » déterminé pour les auteurs de ces violences.

Un contexte renforcé par un type de personnalité (stricte et rigide)

Les parents sont commerçants, ils ont deux boutiques. La situation professionnelle du père est alors hyper prenante, c’est un homme sérieux jusqu’à en être rigide. Il est épuisé, il se sent investi d’une « mission » : faire en sorte que son épouse puisse dormir un peu. Or le bébé ne ressemble pas à leur aîné, « tous les enfants sont différents » rappelle l’avocate : le nourrisson pleure beaucoup, vomit ou régurgite pas mal et se rendort difficilement. Il n’y a donc pas de profil social (il est important de le rappeler, c’est comme pour les violences intrafamiliales, le niveau socio-professionnel ne change rien à l’affaire, ndla) : il y a un contexte renforcé par un type de personnalité qui ne demande pas d’aide à des tiers mais entend assurer jusqu’au bout. A quel prix ?

ITT de 2 mois et 10 jours, soit l’âge du bébé au moment du signalement

L’audience est instructive et d’intérêt général, ce mardi 30 novembre. Le tribunal correctionnel juge donc un père âgé de 34 ans. La première qualification des faits était criminelle (passible donc, de la cour d’assises), mais au terme d’une instruction, ce père est renvoyé en correctionnelle pour des violences sur son enfant, ITT supérieure à 8 jours (2 mois et 10 jours, soit son âge au moment de son hospitalisation). Secoué*. Menée efficacement, clairement et complètement, comme toujours, par la présidente Catala, l’instruction à l’audience est source d’enseignements pour tout le monde mais aussi éventuellement source d’interrogations sur nos modes de vie contemporains.

Déjà, début juillet, la mère s’inquiétait de l’état général du bébé

A l’hôpital de Bron, le bébé est opéré. On pose des drains sur le cerveau pour évacuer les liquides qui mettent la boîte crânienne sous tension. Déjà, début juillet, la mère s’inquiétait de l’état général du bébé qui perdait du poids. Le père, lui, a perdu le contrôle deux fois, fin juin, et fin juillet. Tenant le corps sous les aisselles, il a secoué le nourrisson qui pleurait, sa tête allait et venait d’arrière en avant. Des bébés en meurent, ou en gardent des séquelles à vie. Par chance, ce bébé-là va récupérer. L’enfant se porte bien et ne fait aujourd’hui l’objet d’aucune surveillance particulière, si ce n’est une visite à venir à l’HFME (visite retardée à cause de la crise sanitaire, comme on l’appelle, et dont on n’a pas fini de mesurer les effets, ndla).

« Je devais comprendre pourquoi je ne m’étais pas rendu compte de ce que je faisais »

Début août le père est placé en garde à vue. Outre une juge d’instruction, une juge des enfants est entrée dans la boucle, ordonne des mesures éducatives. Le père a été éloigné du domicile familial, a d’abord vu ses petits en visite médiatisée, puis, petit à petit, a pu réintégrer sa famille. D’abord sous le choc, « c’est difficile d’admettre que j’étais responsable de son état », il demande très vite à faire une psychothérapie, « j’avais fait du mal à mon enfant, je devais comprendre comment j’étais arrivé à ça, et pourquoi je ne m’étais pas rendu compte de ce que je faisais ». La justice l’a contraint à l’expertise psychiatrique. « Un homme intelligent », « une colère en lui  » -les arts martiaux servent d'exutoire (sic)-, « du mal à gérer le stress », « peut se montrer assez rigide, ce qui amplifie ses difficultés à gérer son stress ». La présidente Catala pointe le conflit interne qui a conduit au passage à l’acte : il était pris dans le devoir et incapable de faire face à son épuisement. « Il s’est mis dans l’obligation de faire trop de tâches », écrit le médecin expert.

« Ce n’est plus moi qui pilotais la machine »

« Fin juillet, qu’est-ce qui se passe ? » demande la présidente. « Ce qui se passe, c’est que je n’arrive pas à soulager sa peine. Ce n’est plus moi qui pilotais la machine. » « Tous les parents n’en arrivent pas à cette violence-là », dit à juste titre la substitut du procureur, Anne-Lise Peron, qui requiert une peine de prison ferme « aménageable », et des mois de sursis. La magistrate souligne que le passage à l’acte a eu lieu à deux reprises et pas une seule fois, de plus le père a reconnu avoir lâché (3 fois, a-t-il dit) le bébé dans son lit, d’où des chutes libres sur 30 à 40 cm. Pour un si petit être c’est vertigineux, et les éprouvés doivent être terribles. Maître Leray conteste la lecture du parquet, car si tous les parents en effet ne commettent pas de tels actes, l’avocate affirme que « la barrière est infime ». « C’est le moment où on tient le bébé, il pleure, on ne comprend pas pourquoi, on est exténué, on stresse et on sait qu’on pourrait péter un câble. Donc on est tous capables de faire ce qu’il a fait. »

« C’est important que ça soit dit aux parents. Il faut le dire, que tout ça n’est pas facile »

L’avocate évoque les conseils que donnent désormais les sage-femmes : « Quand ça ne va pas, vous posez le bébé dans son berceau, il n’y risque rien. Vous sortez hurler. Vous revenez ensuite. » (1) Mathilde Leray insiste : « C’est important que ça soit dit aux parents. Il faut le dire, que tout ça n’est pas facile. » Puis elle revient au prévenu, « son épouse ne l’a pas lâché, c’est très important. Il est toujours sous contrôle judiciaire, même s’il n’a plus d’obligations ni d’interdictions mais pour lui symboliquement, c’est important. » Elle demande quel serait l’intérêt d’une peine ferme, quatre ans après les faits et alors que cet homme n’a pas fui ses responsabilités. Elle rappelle l’observation de la juge des enfants, fin 2018, sur ce foyer : « un cadre familial structurant et chaleureux ».

2 ans de prison entièrement assortis de sursis simple

A l’issue d’1h15 d’une audience posée et corsetée, le tribunal retient l’altération modérée du discernement (conclusion du rapport d’expertise psychiatrique) du père au moment des faits, et condamne le prévenu à une peine de 2 ans de prison entièrement assortis de sursis simple. Secouer ainsi un bébé est une forme de maltraitance, c’est une violence inouïe, une atteinte imposée à « l’être le plus incapable de se protéger, c’est-à-dire un bébé », comme le dit la présidente, d’où « cet avertissement très sérieux » soit 24 mois révocables en tout ou partie, si jamais cet homme commettait une nouvelle infraction, peu importe sa nature. La présidente doit réexpliquer la peine, car le père, sans doute très stressé, n’a pas compris.

 

* https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2017-09/fs_1_bebe_secoue.pdf   
https://www.ameli.fr/saone-et-loire/assure/sante/urgence/bebe-enfant/syndrome-bebe-secoue 

La mère de l’enfant s’est constituée partie civile en sa qualité de représentant légal, demande et obtient 1 euro symbolique en reconnaissance des préjudices causés.

(1) En présence d’un enfant qui pleure si vous sentez que la situation vous échappe, que vous êtes de plus en plus énervé et que vous n’arrivez pas à vous maîtriser il est nécessaire de prendre des mesures immédiates :

(1)    Laissez l'enfant dans un endroit sécuritaire

(2)    Quittez la pièce voire même l’appartement

(3)    Faites appel à un proche ou un parent pour assurer la prise en charge

(4)    Faites quelques exercices respiratoires

(5)    Changez d'activités : faites du ménage, écouter la musique ou la télévision

(6)    Faites de l'exercice physique si cela est possible

(7)    Prenez une douche